Le 07/07/2022
GIBOVENDÉE AUTORISÉ À TRIPLER UN ÉLEVAGE DE FAISANS ET DE PERDRIX DESTINÉS À LA CHASSE
L’élevage de faisans et de perdrix situé à La Peyratte dans les Deux-Sèvres compte aujourd’hui plus d’animaux qu’il n’en a été déclaré au préalable. La SAC Selac, à laquelle appartient l’exploitation, a obtenu de la préfecture des Deux-Sèvres la régularisation de la capacité de l’élevage, ainsi qu’une autorisation d’extension. La capacité totale de cet élevage, appartenant au groupe Gibovendée, leader de l’élevage d’animaux relâchés pour la chasse, est ainsi multipliée par 3 pour atteindre près de 100 000 oiseaux en présence simultanée.
Les associations L214 et One Voice contestent la décision préfectorale et déposent un recours1 auprès du tribunal administratif de Poitiers.
En 2020, L214 avait révélé des images d’une autre exploitation de Gibovendée située à proximité.
Une aberration pour les animaux
Déclaré pour 37 000 oiseaux (30 000 perdrix et 7 000 faisans), l’élevage compte aujourd’hui 46 600 oiseaux pour la partie « élevage » (42 400 perdrix et 4 200 faisans) et 19 656 oiseaux pour la partie « reproduction » (7 328 couples de perdrix, 4 800 poules faisanes et coqs), soit au total 66 056 emplacements en présence simultanée.
Malgré le dépassement considérable du nombre d’animaux autorisés, l’exploitant n’avait pas régularisé sa situation administrative, alors que cette démarche est obligatoire. En effet, à compter de 40 000 « volailles », les élevages sont soumis au régime de l’autorisation, nécessitant entre autres une étude d’impact et une enquête publique. Durant plusieurs années, l’exploitant a donc été dans l’illégalité.
La demande d’extension porte sur une régularisation de la situation administrative actuelle, mais aussi sur un accroissement substantiel de l’élevage pour porter celui-ci à 41 200 perdrix et 27 000 faisans pour la partie « élevage » et 9 000 couples de perdrix et 9 000 faisans pour la partie « reproduction », soit un total de 95 200 emplacements en présence simultanée.
Actuellement, les animaux utilisés pour la reproduction sont entassés dans des cages grillagées qui leur blessent les pattes. Une cage de perdrix compte 2 animaux, soit 0,25 m2 par animal. Dans une cage de faisans, on compte 1 coq et 8 à 9 poules faisanes, soit 0,10 m2 par animal. La hauteur des cages est de 50 cm.
L’objectif de la demande d’extension ? Produire en très grand nombre des oiseaux destinés à la chasse.
Les enquêtes de L214 et de One Voice
Les images dévoilées en 2020 par L214, filmées dans un élevage appartenant à Gibovendée, à Missé, montrent les conditions de vie effroyables des oiseaux destinés à la chasse :
- les oiseaux reproducteurs, faisans et perdrix, sont maintenus dans des centaines de cages grillagées qui s’étendent à perte de vue ;
- ils tentent en vain de prendre leur envol et se heurtent au filet qui referme leur cage tandis que leurs pattes reposent sur un sol grillagé ;
- des oiseaux reproducteurs sont emprisonnés dans ces cages ; libres, leur territoire s’étendrait sur plusieurs hectares. Cette promiscuité forcée rend les agressions inévitables : pour en limiter la gravité, un couvre-bec ou un anneau est fixé sur les becs. Pour certains de ces dispositifs, il est nécessaire de percer la cloison nasale des oiseaux ;
- dans les cages, certains oiseaux se coincent la tête dans le passage dédié aux œufs, ils agonisent ;
- dans un bâtiment fermé, de jeunes faisans, anneau fiché dans le bec, sont élevés par centaines dans un milieu totalement étranger à celui qu’ils découvriront une fois relâchés.
Beaucoup ne survivent pas. La poubelle est remplie de cadavres.
En mai et juin 2022, les enquêteurs de l’association One Voice se sont rendus dans l’élevage de La Peyratte et ont constaté les conditions de vie des oiseaux, tout aussi accablantes.
Une fois lâchés, les oiseaux se retrouvent totalement démunis : ils ne savent pas comment se nourrir ni éviter les prédateurs, et beaucoup d’entre eux errent au bord des routes… Les perdrix et faisans d’élevage ne sont ni tout à fait domestiques (ils sont nerveux et supportent très mal la captivité), ni tout à fait sauvages (ils sont inadaptés à la vie sauvage). Ce qui en fait des proies faciles.
Une aberration environnementale
Cet élevage et son extension ne seront pas sans conséquences sur l’environnement.
Une partie des cages se trouve en zone humide. Les fientes accumulées sont susceptibles de contaminer la zone en phosphore et en azote et d’en modifier la structure.
Il est à craindre une contamination de l’eau, par ruissellement ou infiltration. Les excréments d’oiseaux peuvent contenir des produits vétérinaires, utilisés dans les élevages intensifs d’oiseaux destinés à la chasse.
La consommation d’eau va, quant à elle, subir une forte augmentation (+2 600 m3) alors même que l’élevage est situé en zone de répartition des eaux (ZRE) caractérisée par une insuffisance chronique des ressources en eau.
Pour Isabelle Fernandez, porte-parole de l’association L214 : « La chasse est responsable d’un véritable massacre à grande échelle. Des millions d’animaux sont élevés pour servir de chair à fusil. Aucune échappatoire n’est possible. À l’heure où la majorité des Français s’opposent aux élevages intensifs et aux lâchers d’animaux destinés à la chasse2, il est inconcevable d’autoriser l’extension de ce type d’élevage. Au côté de l’association One Voice, nous déposons un recours contre la décision de la préfecture qui a autorisé ce projet d’agrandissement, cruel pour les animaux, dommageable pour l’environnement, et contraire à l’intérêt général. »
1. Le recours a été déposé le 15 juin 2022.
2. Sondage IFOP pour la Fondation Brigitte Bardot, 2017.
La chasse pour réguler ou repeupler ?
Chaque année, 14 millions de faisans et 5 millions de perdrix sont élevés pour la chasse, en France. Lorsque la Fédération nationale des chasseurs parle de « régulation » par « prélèvement », le doute est permis. De nombreux articles sur les associations de chasse mentionnent les lâchers d’animaux issus d’élevages, pendant la saison de la chasse ou le jour même de la chasse.
L’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) estime qu’il « serait lâché annuellement plus de 10 millions de faisans selon différentes sources. Cela explique qu’il est prélevé dans tous les départements. Cela explique aussi que le cliché “faisan = gibier de tir” ait encore la vie dure auprès des chasseurs, et surtout du grand public. »
Pour la perdrix rouge, l’ONCFS note que « l’objectif de ces lâchers est de maintenir une activité de chasse plus motivante pour les chasseurs. Cette technique hypothèque les opérations de repeuplement et accélère la chute des populations naturelles. Si l’essentiel de ces oiseaux est tué dans les premières semaines de chasse, des perdrix “sauvages” sont également prélevées et ce en proportion croissante au cours de la saison. Il est donc faux de dire que “les lâchers protègent les sauvages” ».
La mortalité des faisans et des perdrix est très importante les jours et les semaines suivant les lâchers (y compris lors de repeuplements). Ces taux peuvent aller jusqu’à 80 % (Anses, 2016, p. 5).
Les plans de repeuplement sont très souvent inefficaces, la chasse étant rarement interrompue par ailleurs.
Pour repeupler les plaines en perdrix et faisans, ne suffirait-il pas de préserver leur milieu de vie et d’arrêter de les chasser ? Une problématique qui rejoint au moins en partie la question du modèle agricole intensif aujourd’hui destructeur de biodiversité.