Vienne, 9 juillet 2008
Comme c’est mon droit en tant qu’accusé (§176StPo), je voudrais profiter de cette occasion pour faire une déclaration. Après tout, cela concerne deux mois de ma vie. Deux mois que, selon le procureur général, je devrais passer dans une cellule. Durant ces sept dernières semaines d’emprisonnement, j’ai dû partager ma cellule avec un délinquant violent qui, après avoir déjà été condamné à cinq reprises, est maintenant condamné à exactement 2 mois pour coups et blessures. Voilà pourquoi le jugement qui doit être rendu aujourd’hui est d’une grande importance.
Le procureur général a donné lecture d’une longue et impressionnante liste de délits. On serait tenté de croire que dans presque chaque boutique, il y a eu des vitrines brisées et de l’acide butyrique sur le sol. Cependant, si le procureur général avait donné lecture de tous les accidents de voiture qui se sont produits ces dernières années, on aurait eu l’impression que presque tout le monde avait été impliqué dans un accident de la route. Mais, attention ! Seule une analyse statistique nous permettrait d’évaluer une telle liste avec objectivité.
Le fait est que, par rapport aux chiffres internationaux, le nombre de crimes liés à la protection animale en Autriche est incroyablement faible ! Même dans les pays où la protection animale est moins implantée, comme en République tchèque, au Mexique ou en Espagne, le nombre de délits liés à la protection des animaux est plus élevé. Et cela même si, statistiquement parlant, l’Autriche est le pays le plus actif au monde en matière de défense des droits des animaux. Sur le plan de la protection animale, plus de 600 manifestations, 150 actions et 50 événements chaque année sont à pondérer par rapport à une poignée d‘affaires criminelles.
D’un point de vue sociologique, la question intéressante est, en fait : pourquoi les délits associés à la protection des animaux sont-ils si peu nombreux en Autriche ? Plus intéressant encore : pourquoi est-ce précisément en Autriche qu’une opération de police aussi draconienne a été menée ?
Le procureur général et la Commission spéciale de la protection animale mise sur pied par le ministère de l’Intérieur ont mené des enquêtes pendant ces 2 dernières années. Ils ont été incapables de résoudre un seul cas, en dépit d’un important dispositif de surveillance comprenant espionnage électronique, mise sur écoute des téléphones et des habitations et infiltration d’associations.
Au lieu d’aboutir à la conclusion logique qu’ils étaient manifestement sur la mauvaise piste et qu’il était probable que les responsables de ces activités criminelles étaient des individus opérant seuls ou en petits groupes autonomes et ne s’engageant pas publiquement dans la protection animale, comme indiqué en fait dans les dossiers de la police, les autorités ont lancé une attaque massive.
Cela peut s‘expliquer ainsi : le procureur général et la Commission Spéciale ne veulent pas perdre la face et être considérés comme des incompétents. Par conséquent, il a été décidé d’effectuer des raids de grande envergure, nécessitant un grand nombre d’officiers de police spécialement entraînés, contre les militants animalistes les plus actifs. Et comment ces mesures ont-elles été justifiées ? En l’absence de soupçon véritable, un concept nébuleux d’organisation criminelle a été échafaudé. Pour être considérée comme criminelle, une organisation doit être composée de 10 personnes, donc 10 personnes choisies au hasard ont été placées en détention. Le fait que ces personnes ne se connaissent pas et qu’elles appartiennent à des groupes qui n’ont plus aucun contact les uns avec les autres depuis des années, voire même qui se considèrent plus ou moins comme des ennemis, a été complètement ignoré.
Un autre fait notable est que le procureur général et la police ont sans cesse refusé de m’interroger et de fournir la moindre preuve contre moi, bien que mon avocat en ait fait la demande durant des semaines. Quelle conclusion en tirer si ce n’est qu’ils n’ont ni question, ni preuve ?
Quelques questions critiques montrent immédiatement que l’accusation d’appartenance à une vaste organisation criminelle ne tient pas.
- Pourquoi ces activités criminelles motivées par la protection des animaux seraient-elles le fait d’une vaste organisation criminelle et pas de petits groupes autonomes ? Il n’y a aucune preuve pour étayer l’existence d’un grand groupe. La vraie raison est que la détention provisoire n’est possible qu’avec une accusation d’appartenance à une grande organisation criminelle.
- Pourquoi est-ce que ce sont justement les délits énumérés par le procureur général, ni plus ni moins, qui sont attribués à l’organisation criminelle ? Il n’y a pas de critère pour cette attribution. Celle liste a été établie au hasard : pas trop courte, afin que l’organisation paraisse suffisamment dangereuse, mais pas trop longue, pour éviter que cela semble exagéré et invraisemblable.
- Quelles sont les personnes censées appartenir à cette organisation et pourquoi ? Cette fois encore, aucun critère n’est donné. Les 10 personnes arrêtées ont été choisies au hasard, parce qu’il faut un minimum de 10 suspects pour une organisation criminelle ; plus de 10 semblerait improbable. Le seul fait que l’on ait arrêté exactement 10 personnes démontre le caractère arbitraire de ce choix.
Il est tout à fait choquant de voir que le procureur général et la Commission ne reculent devant rien pour sauver la face. Ces gens n’ont manifestement pas conscience des conséquences de leurs actes !
De très nombreuses personnes ont été assaillies en pleine nuit, dans leurs propres maisons, par des groupes d’hommes armés et masqués. Des personnes, dormant paisiblement dans leur lit, se sont retrouvées avec des projecteurs braqués sur le visage et des pistolets appuyés contre la tête. Parmi elles se trouvaient des gens qui n’avaient rien à voir avec la protection animale, dont une petite fille de 7 ans. Toutes les victimes de ce raid ont été gravement traumatisées.
La sphère privée d’un grand nombre de personnes a été envahie, leur espace et leurs affaires personnelles ont été fouillés.
10 personnes ont été détenues pendant des semaines, qui sont en fait des mois, dans de minuscules cellules, et privées de liberté. Sans qu’il leur soit possible de voir les personnes et les animaux qui leur sont chers, leurs vies entières ont été mises en attente. De plus, la réputation de ces personnes a été gravement entachée. Qu’il s’agisse de voisins, collègues et relations ou de membres des organisations de protection animale et de groupes ciblés par des campagnes animalistes, toutes ces personnes ont été amenées à croire à un soupçon d’activité criminelle qui n’existe pas.
Cette opération policière a aussi causé quantité de dégâts matériels – à des ordinateurs et à des portables par exemple, qu’il faut maintenant remplacer. Les dommages matériels subis par VGT doivent probablement s’élever à de centaines de milliers d’euros.
Les dommages psychologiques causés par le procureur général et la Commission spéciale, que ce soit par négligence grossière ou intentionnellement, ne peuvent pas être réparés. Nombre de personnes ont été gravement traumatisées, leur confiance en l’État a été détruite, leurs foyers ont été profanés. Ces personnes ont été profondément humiliées. À l’avenir, elles vivront dans la crainte. La plupart auront besoin d’une psychothérapie.
Le procureur général et la Commission spéciale ont été jusqu’à fabriquer des preuves. Ils ont inventé un témoignage et un cas d’incendie criminel. Les responsables de ces crimes doivent être tenus pour responsables !
J’ai une dernière question concernant l’avenir. Aujourd’hui, il n’est pas question de culpabilité, mais seulement de forte suspicion. Lorsque je serais libéré, que devrais-je faire différemment pour ne pas paraître suspect selon le tribunal, pour ne pas être placé en détention préventive ?
- Vais-je devoir changer de philosophie, alors même que la constitution garantit que je ne serai pas désavantagé en raison de mes opinions ?
- Ne me sera-t-il plus permis d’effectuer un travail normal pour une ONG, alors même que ce travail est accepté internationalement et qu’il est non seulement nécessaire dans une démocratie mais aussi souhaité par une large majorité de la population autrichienne ?
- Ne me sera-t-il plus permis d’organiser des conférences et de tenir des réunions pour les (nouveaux) militants ?
- Ne me sera-t-il plus permis d’écrire des livres et de rassembler des données et des archives nécessaires à leur rédaction ?
Si ces questions n’obtiennent pas de réponses claires et satisfaisantes, alors comment ma mise en détention provisoire peut-elle être en conformité avec l’état de droit ?
Dr Martin Balluch
Annexe :
Analyse de la liste des délits attribués par le procureur général à la présumée organisation criminelle.
Durant l’audience du réexamen de la détention provisoire du 06.06.08, le procureur a lu une liste de 33 délits. 5 de ces délits ont dû être immédiatement abandonnés car ils ne relèvent pas de l’article 278a du Code pénal (organisation criminelle)
- L’incident A-j était un accrochage banal, qui est un acte non-criminel de désobéissance civile, typique des campagnes d’ONG.
- L’incident B-a était une manifestation autorisée, en présence de la police, tout à fait légale aussi.
- Les incidents A-bb et A-ee concernent un film réalisé à l’intérieur d’un élevage de cochons, accessible par une simple porte ouverte, sans effraction ; il ne s’agit pas d’un acte criminel non plus.
- L’incident A-y, comme détaillé ailleurs, n’est pas un incendie criminel, mais est dû à la surchauffe d’un four à bois en raison d’une installation négligente et d’un manque de surveillance.
- L’incident A-dd concerne la crevaison des pneus d’une voiture de police et n’a aucun rapport avec la protection animale.
Il reste 22 incidents sur une période de 6 ans, avec des dommages matériels qui s’élèvent certainement à moins de 100 000 euros. Cela représente 3 incidents par an ! Ces incidents peuvent être classés ainsi :
- 7 attaques à la bombe puante
- 7 cas de vitrines brisées
- 3 cas de graffiti
- 2 cas de détérioration : un mirador d’affût et une volière à faisans vide
- 2 sauvetages d’animaux (cochons et faisans) sans dégâts matériels
- 1 lettre de menace
Est-il crédible qu’en 6 ans, avec ce niveau d’activité, cette présumée organisation criminelle ait pu exercer une influence aussi considérable sur la politique et l’économie ?
Démolir un mirador d’affût ne peut en aucune façon être interprété comme un moyen d’influencer la politique et l’économie. Il en est de même pour les graffitis sur le mur de la maison d’un vivisecteur. L’objectif des libérations d’animaux était évidemment de secourir deux êtres et non d’exercer une influence sur la politique et sur l’économie.
Les 17 incidents restants se sont produits sur une période de 6 ans. 15 d’entre eux concernent des actions dirigées contre le propriétaire du magasin de vêtements Kleider Bauer, 1 contre un magasin de fourrure et la lettre de menace était adressée à une compagnie qui effectue des tests sur les animaux.
M. Balluch n’a pas un rôle de dirigeant dans la campagne contre Kleider Bauer et il ne milite pas particulièrement contre la fourrure. Personne en Autriche ne mène de campagne générale contre l’expérimentation animale, ou contre la société qui a reçu une lettre de menace, ni contre une autre société impliquée dans l’expérimentation animale.
Rien n’indique qu’un même groupe de personnes soit responsable de ces incidents. Il n’a pas été apporté le moindre élément tangible qui justifierait que l’on soupçonne les accusés d’être les auteurs de ces délits.
Source : DDr. Martin Balluch’s Address to the Court at Remand Review Hearing of 7th July 2008