Les oies et la plupart des canards sont effectivement migrateurs à l’état sauvage, mais Gérard Guy, directeur de la station expérimentale des palmipèdes à foie gras de l’INRA, rappelle que : « les oies et les canards d’élevage, aujourd’hui, ont perdu leur instinct migratoire[[1]]. » Les canards de Barbarie n’ont même jamais été migrateurs.
Migrateur ou pas, de toutes façons, à la fin de la période de gavage, la plupart d’entre eux ont même déjà bien du mal à se déplacer en marchant. Du fait de la compression des poumons par le foie rendu jusqu’à 10 fois trop gros, ils ont aussi du mal à respirer, et sont incapables de fournir le moindre effort soutenu.
Contrairement à ce qu’on lui impose en période de gavage, l’engraissement naturel d’un oiseau avant une migration reste modéré afin de ne pas l’alourdir trop, et de le garder en bonne santé pour le vol.
De plus, pour les palmipèdes qui s’engraissent naturellement avant la migration, le stockage des graisses s’effectue pour l’essentiel dans les tissus périphériques (sous la peau, une bonne partie au niveau de la poitrine), mais pas dans le foie. En gavage pour le foie gras, si les graisses s’accumulent dans le foie, c’est que les quantités ingérées de force sont telles que les graisses produites par le foie ne peuvent plus être acheminées aux tissus périphériques par les mécanismes naturels de transport qui, débordés, laissent les graisses s’accumuler dans le foie.
Lorsqu’il n’est pas tenu en captivité, le canard se nourrit effectivement tout au long de la journée (contrairement au rythme imposé des deux repas par jour en gavage forcé).
De là à dire que son corps peut ingérer n’importe quelle quantité de nourriture…
Les quantités ingérées en gavage sont telles que si on arrête de le forcer à manger, « l’animal refuse simplement de s’alimenter pendant une quinzaine de jours »[[2]].
Au sujet du supposé plaisir qu’aurait le canard ou l’oie de voir le gaveur revenir avec l’embuc de la machine à gaver, le Rapport du Comité scientifique de la Commission Européenne sur la santé et le bien-être des animaux nous rappelle en sa conclusion que « les membres du Comité ont observé qu’avant une séance de gavage, les canards et les oies font preuve d’un comportement d’évitement qui indique de l’aversion envers la personne qui les nourrit et la procédure de gavage. Après une courte période, les oiseaux qui peuvent le faire [[c’est-à-dire ceux qui ne sont pas cloîtrés dans une cage]] s’éloignent de la personne qui les a gavés ».
On apprend qu’une maladie se définit par son caractère d’irréversibilité ! N’est pas malade celui qui recouvrera la santé ! Imaginez que vous ayez la grippe. Votre système immunitaire active les défenses qui vous permettent de vous rétablir. Si vous vous en sortez, c’est que vous n’étiez pas vraiment malade, votre imagination vous jouait des tours !
Plus scientifiquement, le Rapport du Comité scientifique explique pourquoi le foie gras est un état pathologique du foie d’une oie ou d’un canard.
Non seulement le foie est dans un état pathologique, mais l’animal meurt du gavage si on le poursuit pendant quelques jours encore, certains meurent même en cas d’arrêt immédiat du gavage car, « après un gavage prolongé (15 à 21 jours), la récupération n’est plus possible, le foie gras de l’animal conservé vivant évolue vers la cirrhose ».[[3]]
Beaucoup sont même déjà morts en cours de gavage (cf point suivant).
En quelque sorte, l’argument des défenseurs du gavage, c’est que l’on peut en ressortir vivant à condition de ne pas en sortir mort ou mortellement malade.
C’est ainsi que l’Institut Technique de l’Aviculture (ITAVI), dans son document « le foie gras : ses quatre vérités », veut nous persuader que le gavage est une opération anodine pour les animaux.
Mais si l’on y regarde d’un peu plus près, ces données signifient qu’en réalité, après seulement 15 jours de gavage, il est déjà mort autant d’animaux qu’il en meurt en plusieurs mois d’élevage…
Le Rapport du Comité scientifique précise même que « Le taux de mortalité au gavage varie entre 2% et 4% en deux semaines comparé à un taux d’environ 0,2% pour un élevage de canards non gavés ». Autrement dit, le taux de mortalité en période de gavage est donc en vérité multiplié par 10 ou même 20 !
Prétendre que le gavage n’est pas un mauvais traitement envers les animaux est tellement peu convaincant que les défenseurs du foie gras se sentent obligés d’ajouter que le gavage ne dure pas trop longtemps. Bel aveu…
« La quantité de maïs d’un gavage équivaut, pour un humain, à une ingestion de 10 kg de nourriture. On peut effectivement décider de se satisfaire que les canards ne subissent ces 2 à 3 gavages par jour « que » pendant deux à trois semaines : quand on y a des intérêts économiques, il est facile de faire des concessions sur les corps des autres… »
La raison pour laquelle le gavage ne dure pas plus longtemps encore, c’est que, comme le précise le Rapport scientifique « les producteurs sont attentifs [[…]] à ne pas poursuivre le gavage quelques jours de trop parce que s’ils le font, cela peut déclencher une très haute mortalité » et « si le gavage est poursuivi encore, après trois ou quatre jours les dommages aux tissus [[du foie]] augmentent significativement ».
Ainsi, le gavage ne dure « que deux à trois semaines », parce que s’il était poursuivi, les animaux mourraient du gavage un par un et leur foie serait impropre à la consommation.
Le fait de maltraiter, de faire souffrir un animal avant de le tuer est une circonstance aggravante, pas atténuante.
La production du foie gras se fait en deux temps : la période d’élevage qui va du caneton au canard « prêt à gaver » (avec une période de pré-gavage) et la période de gavage à proprement parler. A chacune de ces périodes correspond un type d’hébergement.
Pour l’élevage : voici l’exemple du label rouge canards à foie gras sud-ouest (plus contraignant que la grande majorité des élevages) :
Dans chaque bâtiment : maximum 3 200 sujets si présents sur toute la durée de l’élevage et 12 800 canards maximum présents simultanément.
- 15 canards par m2 avant 21 jours d’âge
- 10 canards par m2 du 22e au 42e jour d’âge
- 7,5 canards/m2 à partir du 43e jour d’âge
Les canards ont accès à un parcours extérieur (5 m2/canard au minimum) à partir du 43e jour.
Pour le gavage, c’est la claustration : La majorité des canards (87%) sont maintenus dans une cage en plastique ou métallique de 20 cm de large, 50 cm de long et d’une trentaine de centimètres de hauteur, soit un peu moins de la surface d’une feuille A3. Les canards ne peuvent pas se retourner, ni étendre leurs ailes. Leur tête dépasse de la cage pour permettre le gavage. Les 13% de canards restants sont maintenus dans des enclos généralement de 3 m2 pour une quinzaine d’animaux. Les oies sont enfermées dans des cages collectives de 1 m par 1 m pour 3 animaux ou bien en enclos de 3 m par 1 m pour 9 animaux [[4]].
Le CIFOG (Comité Interprofessionnel des Palmipèdes à Foie Gras) s’est adjoint les services d’une agence de communication dont la stratégie est claire : éviter méticuleusement toute référence au gavage et à l’animal, et entourer le foie gras d’une aura de luxe et de magie. La plupart des consommateurs ignorent ainsi qu’un million d’oiseaux meurent en gavage chaque année, que la quasi-totalité du foie gras vient de canards enfermés en cages de batterie, que des dizaines de millions de canetons femelles sont gazés ou broyés en masse. Les porte-parole de la profession sont passés maîtres dans l’apaisement de la conscience des consommateurs, à grands renfort de fausses vérités et d’un lexique soigneusement choisi (sur son site, le CIFOG ne parle pas de gavage mais « d’alimentation progressive et contrôlée »).
La filière française du foie gras investit des moyens importants pour tenter de contrer le rapport scientifique de la Commission européenne qui conclut au caractère préjudiciable du gavage pour le bien-être des oiseaux. Anticipant l’échec de cette stratégie, elle a fait légitimer le gavage par la loi d’orientation agricole de 2006, pour tenter, sur le modèle de la corrida, de soustraire (au titre d’exception culturelle) la production de foie gras aux lois de protection des animaux.
→ En savoir plus sur le foie gras
[[1]]La Dépêche du Midi du 5 octobre 2003.
[[2]]« Caractéristiques anatomiques, physiologiques et biochimiques en relation avec la formation du foie gras chez les palmipèdes » J.C. Blum – INRA – in « Le point sur les facteurs de réussite du gavage » – 1993 – publié par l’ITAVI (Institut Technique de l’Aviculture)
[[3]] J.C. Blum 1993, référence citée précédemment.
[[4]] Informations tirées du Rapport du Comité scientifique sur la santé et le bien-être.