Ce texte est une traduction d’un article dénonçant l’usage des lois antiterroristes pour museler les ONG en Autriche publié sur le site de VGT le 11.11.2008.
La culpabilité par association :
valable pour des campagnes d’ONG ?
Au début de l’année 2007, le Ministère autrichien de l’intérieur a constitué une commission spéciale ayant pour cible le mouvement de protection animale. Cette commission a mis sur pied une opération massive de surveillance ainsi que des raids au petit matin dans 7 bureaux et 23 domiciles, effectués par des officiers masqués et armés, appartenant à une unité spéciale. Trente-huit personnes ont été emmenées pour être interrogées par la police, et 10 autres ont été placées en détention provisoire.
La justification fournie par la commission pour avoir pris cette mesure drastique a été le soupçon d’appartenance à une organisation criminelle (article 278a du Code pénal autrichien).
Le Ministère public a présenté des transcriptions des conversations téléphoniques interceptées où il était question de cryptage d’ordinateur et d’éviter de discuter ouvertement au téléphone en raison de mises sur écoute. Par ailleurs, certains des ordinateurs confisqués lors des descentes de police étaient effectivement cryptés. Des mails remontant à plus de 11 ans ont aussi été présentés par le Ministère public comme indiquant apparemment une entente au sujet d’activités illégales en relation avec la protection animale. Ce sont les seuls éléments de preuve que les enquêtes ont fournis :
> Malgré plusieurs années de surveillance, personne n’a été pris sur le fait ou vu en train de commettre un acte criminel.
> Malgré plusieurs années de surveillance, personne n’a été entendu ou observé en train de projeter ou d’organiser un acte délictueux pour le compte de tiers.
> Aucun élément utilisé lors d’actes délictueux n’a été découvert pendant les perquisitions.
> Aucun échantillon d’ADN, pris de force et sans le consentement des suspects, ne correspond aux prélèvements effectués sur les scènes de crimes liés à la protection animale.
S’appuyant sur ces éléments, les prisonniers ont fait appel directement auprès de la Cour Suprême autrichienne. Fin octobre, celle-ci a rendu sa décision : sur la base des preuves présentées, la suspicion d’appartenance à une organisation criminelle existe effectivement et la détention provisoire était, par conséquent, justifiée.
L’article 278a n’est pas utilisé contre des crimes qui ont eu lieu mais pour empêcher que des crimes soient commis. Pour être coupable selon l’article 278a, il n’est pas nécessaire d’avoir pris part à un activité criminelle ni même de connaître quelqu’un qui l’a fait. Il suffit simplement de soutenir une campagne, sachant qu’un jour quelqu’un, quelque part, commettra un acte criminel dans un but identique à celui poursuivit par cette campagne.
L’article 278a est composé d’une série de conditions qui doivent être remplies afin qu’il soit possible de parler d’une organisation criminelle. Cela inclut la création d’une organisation à long terme et la participation d’un grand nombre de personnes dans le but de commettre des actes de vandalisme. Dans le cas de la protection animale, la Cour Suprême considère que ces stipulations sont remplies de manière satisfaisante sur la base de cas récurrents de dommages matériels pendant ces 10 dernières années, s’élevant à plus de 3000 euros, en relation avec la protection animale. Selon la Cour Suprême, l’existence d’une structure de type société – dont il faut faire la preuve afin d’utiliser cette loi, peut être démontrée puisque certains suspects discutaient avec des centaines de non-suspects sur un forum privé sur internet. Du point de vue de la Cour Suprême, le fait que des individus demeurant dans diverses villes à travers le pays mènent une même campagne légale de défense des animaux indique aussi l’existence d’une structure de type société.
Pour utiliser l’article 278a, deux autres conditions doivent être remplies : premièrement, il doit y avoir de la part de l’organisation une intention claire d’influer fortement sur la politique et l’économie. La Cour Suprême considère que tel est bien le cas pour le mouvement animaliste. Deuxièmement, il doit pouvoir être prouver qu’il y a eu des tentatives pour éviter les poursuites, ce que le cryptage d’ordinateur et les mails cités sembleraient montrer.
Par conséquent, selon la Cour Suprême autrichienne, l’existence d’une organisation criminelle, au sens de l’article 278a, à l’intérieur du mouvement de protection des animaux semble avoir été suffisamment établie.
A la lecture des arguments de la Cour Suprême et des éléments de preuves rassemblés, la portée de cette décision devient claire ; il suffit que des dégâts matériels s’élevant à plus de 3000 euros soient perpétrés quelque part, par une personne motivée par des idéaux que partage une ONG. Ces incidents sans relation sont suffisants pour prouver l’existence d’une organisation criminelle, parce que ce qui suit s’applique pratiquement à toutes les ONG qui mènent des campagnes politiques :
> Leur travail est à long terme.
> Leur travail implique la participation d’un grand nombre de personnes.
> Leur travail nécessite une certaine quantité d’organisations et d’infrastructures.
> Leur travail nécessite un certain degré de communication confidentielle – cela afin de protéger leurs informateurs, leurs militants et l’organisation d’actions futures.
> La nature même de leur travail implique d’essayer d’avoir une influence sur la politique et l’économie.
Pour utiliser l’article 278a, la seule chose qui manque à présent est un crime commis plus ou moins dans la zone où se situe l’ONG, motivé par des idéaux pouvant être attribués à cette ONG.
La situation décrite ci-dessus pourrait être appliquée à n’importe quel mouvement social. La décision de la Cour Suprême suppose que là où il y a un mouvement social, (en particulier dans des domaines où une ONG est active) il y a aussi une organisation criminelle à l’œuvre. L’organisation criminelle n’est pas l’ONG elle-même – la décision est très claire sur ce point, mais elle utilisera l’infrastructure de l’ONG.
Au cas où il serait possible de prouver de cette façon l’existence d’une organisation criminelle, alors être considéré comme un membre de cette organisation criminelle serait passible d’une peine de 6 mois minimum à 5 ans de prison maximum.
Par ailleurs, l’article 278a peut être utilisé n’importe quand pour justifier des opérations de surveillance supplémentaires – ainsi que d’effroyables descentes de polices comme en ont fait l’expériences les militants animalistes autrichiens cet été. Il n’est pas nécessaire d’avoir la preuve que l’une des personnes ciblées ait commis un crime, ou qu’un crime puisse être associé à l’ONG dont sont membres ces personnes. Pour être considéré comme un membre d’une organisation criminelle, le fait d’avoir commis un crime ou même d’être au courant d’un crime est hors de propos.
Pour être considéré comme un membre d’une organisation criminelle, il suffit de participer aux activités légales d’une ONG comme aller à des manifestations, ou aider l’ONG en cryptant ses ordinateurs, ou encore en tenant des réunions pour de nouveaux militants, en sachant qu’il existe une organisation criminelle qui commet des crimes – quels que soient ceux qui les commettent.
Il suffit de peu de chose pour que la cour suppose qu’un membre d’une ONG donnée est au courant de l’existence d’une organisation criminelle. Les ONG sont censées être au courant des actes criminels perpétrés au nom des leurs idéaux et, puisqu’il y a eu de tels actes dans le passé, elles sont censées s’attendre à ce qu’il y en ait encore plus dans le futur. De plus, si le membre de cette ONG exprime de la compréhension à l’égard de tels actes, cela peut être utilisé comme un argument prouvant qu’il a connaissance de ces crimes. Mais même si ce n’est pas le cas, crypter un ordinateur – ce qui, selon la Cour Suprême, ne peut être fait que dans le but de cacher une activité criminelle, est suffisant pour indiquer que le crypteur a connaissance de ces actes criminels. Selon la décision de la Cour Suprême, il n’y pas d’autre façon d’interpréter l’article 278a.
Par conséquent, l’article 278a peut être utilisé pour punir le fait d’avoir certaines opinions, ce qui est une arme puissante contre tout travail politique non-parlementaire. Pratiquement tous les mouvements sociaux, les ONG et les campagnes légales sont à la merci d’une répression arbitraire de l’état.
Le choix de la cible relève de la décision du Ministère de l’intérieur. Si un mouvement social réussit à initier de réels changements dans la société, comme c’est le cas avec le mouvement animaliste, alors il peut être détruit. Se focaliser sur des organisations et des militants qui oeuvrent dans la légalité est une vieille méthode très utilisée par les services de renseignements, car ce sont eux qui apportent de vrais changements, pas les loups solitaires qui commettent des actes criminels ni les petits groupes de personnes désespérées. Détruire la crédibilité d’un militantisme légitime est bien plus efficace pour stopper un mouvement que d’attraper quelques individus responsables d’actes de vandalisme.
Compris ainsi l’article 278a ainsi ressemble aux lois qui établissent la culpabilité par association. Si l’auteur ne peut pas être trouvé alors quelqu’un de proche (famille, idéologie commune) est puni, même s’ils sont absolument innocents. Peut-être les autorités pensent-elles que s’en prendre à d’innocents manifestants dissuadera les responsables de commettre des actes de vandalisme.
La question que la société doit se poser est si un tel usage de l’article 278a est tolérable.
Les campagnes politiques non-parlementaires, qui comprennent parfois des actes de désobéissance civile, devraient-elles vraiment être réprimées ? Une démocratie saine ne devrait-elle pas les tolérer précisément parce qu’elles permettent de vérifier la façon dont s’exercent le pouvoir et le capitalisme ? Est-il moralement justifiable et politiquement acceptable de permettre la réapparition dans la société du concept de culpabilité par association ? Un concept qui avait été jugé moralement répugnant il y a plusieurs décennies.
Ne devrait-on pas se débarrasser de l’article 278a ?
Au moins la sanction pour appartenance à une organisation criminelle, alors qu’il n’y a aucune association avec un crime, devrait-elle être modifiée. Ou alors, l’utilisation de l’article 278a devrait être restreinte aux cas où la sécurité des gens est fortement menacée. Jusqu’à présent, sur 182 cas de personnes déclarées coupables selon l’article 278a, presque toutes étaient des immigrés appartenant à des minorités ethniques et soi-disant des trafiquants de drogue. L’idée d’identité de groupe qui, dans le cas de la protection animale est démontrée par une idéologie partagée, est établie dans ces autres cas par l’appartenance à une même origine ethnique.
L’utilisation de l’article 278a contre les ONG et les mouvements pour la justice sociale pourrait aussi être évitée s’il était appliqué uniquement dans les cas où l’intention est de faire des profits. Les vraies organisations criminelles fondées sur des idéologies sont couvertes par le paragraphe concernant le terrorisme du code pénal autrichien. Au lieu d’une loi générale relative aux organisations criminelles, des lois spécifiques pourraient être utilisées pour traiter différents crimes comme le trafic d’êtres humains, d’armes, ou de drogue.
Tant que la section 278a demeurera sous sa forme actuelle, chaque mouvement pour la justice sociale et chaque ONG risque d’être victime de la répression d’état.