Communiqué de presse L214 – Éthique & Animaux

Le 17/05/2023

Utilisation inquiétante d’antibiotiques dans un élevage de lapins

Des molécules classés d’« importance critique » par l’OMS


Oxytétracycline, tulathromycine, tilmicosine, neomycine... une armoire remplie d’antibiotiques catégorisés « d’importance critique » par l’Organisation mondiale de la Santé. Les images de la nouvelle enquête dévoilée par L214 ce mercredi 17 mai n’ont pas été filmées dans un hôpital, elles proviennent d’un élevage de lapins à Noordpeene, dans les Hauts-de-France.
L214 interpelle la Commission européenne et des eurodéputés sur le danger majeur pour la santé publique que représente l'utilisation d'antibiotiques dans les élevages cunicoles.

Pas moins de huit références d’antibiotiques appartenant à 4 familles différentes sont utilisées dans cet élevage de lapins : macrolides, aminosides, pleuromutilines et tétracyclines. Ces molécules, qui sont les seules ou parmi les rares disponibles pour soigner des infections bactériennes graves chez les humains, sont utilisées à grande échelle sur des milliers de lapins entassés dans des bâtiments fermés.

Enquête Lapin du Ch'ti

L’utilisation d’antibiotiques dans les élevages, notamment cunicoles, fait courir un risque majeur de santé publique. Ces élevages intensifs, qui allient densités extrêmes, conditions sanitaires déplorables et grande proximité génétique parmi les milliers d’individus qui y sont enfermés, présentent des conditions idéales pour le développement de zoonoses et de résistances aux antibiotiques.

L214 alerte la Commission européenne et les eurodéputés

L’antibiorésistance est responsable de 25 000 morts par an dans l’Union européenne. Si rien ne change, les maladies infectieuses d’origine bactérienne pourraient redevenir en 2050 l’une des premières causes de mortalité dans le monde, en provoquant jusqu’à 10 millions de morts par an. D’après une étude de 2016, d'ici 2050 dans le monde, l’antibiorésistance pourrait même tuer une personne toutes les 3 secondes.

Afin de lutter contre l’antibiorésistance, l’OMS appelle à cesser l’utilisation des antibiotiques sur les animaux en bonne santé, et dans le cas de certains antibiotiques particulièrement critiques pour la santé humaine, elle suggère de ne pas les utiliser du tout. Dans ce même élan, la Commission européenne a adopté un plan d’action européen en 2017, et un règlement en 2019, visant notamment à préciser les conditions d’utilisation des antimicrobiens (dont les antibiotiques font partie). L’utilisation préventive des antibiotiques n’est plus autorisée qu’à titre exceptionnel, et de manière très encadrée.

L’association interpelle la Commission européenne et les eurodéputés impliqués sur les questions de santé publique, au sujet des dangers liés à l’usage massif d’antibiotiques dans les élevages cunicoles français.

Thomas van Boeckel, épidémiologiste à l’université de Göteborg, déclarait en 2019 : « La résistance aux antimicrobiens est un problème mondial. Cette tendance alarmante montre que les médicaments utilisés en élevage perdent rapidement leur efficacité. »

Contacts presse :
Olivier Morice : 07 54 39 72 54
Sébastien Arsac : 06 17 42 96 84


Les élevages de lapins : une filière à bout de souffle, ultra intensive, et non réglementée

En France, plus de 99 % des lapins sont élevés en cage, dans des bâtiments sans accès à l’extérieur ni lumière naturelle. Il n’existe pas de réglementation spécifique pour encadrer l’élevage des lapins : les densités y sont très fortes et favorisent la dispersion des maladies.

La filière lapins en France est à bout de souffle, et décroît chaque année. 17,3 millions de lapins ont été tués en France en 20211. La consommation de lapin s’établit à 400 grammes par Français, soit une réduction d’un quart en six ans. Les exportations comme les importations sont en net recul. Le quart des producteurs est parti à la retraite sur les dernières années2.

La filière cunicole, la plus exposée aux antibiotiques, n'est pas surveillée

La consommation d’antibiotiques dans les élevages de lapins fait courir un risque sanitaire majeur. Cette filière est en effet, de très loin, celle qui a le plus exposé ses animaux aux antibiotiques. En 2021, tous animaux confondus, il a été vendu 25 mg d’antibiotiques par kilogramme de poids vif, mais avec de très fortes disparités selon les espèces : 13,3 mg/kg pour les bovins, mais 332 mg/kg pour les lapins. Pour le dire autrement : ramené au niveau d’exposition ALEA (Animal Level of Exposure to Antimicrobials), un lapin d’élevage (ALEA 1,755) a été près de 7 fois plus exposé aux antibiotiques qu’un bovin (ALEA 0,253)3. La réduction globale de l’exposition des lapins de 19,5 % observée depuis 2016 cache des reports de certaines familles d’antibiotiques vers d’autres : sur cette période, une augmentation de 39,9 % de l’exposition aux macrolides (tilmicosine) est observée.

Pourtant, les lapins ne font pas partie des espèces étudiées dans le cadre du dispositif officiel de la surveillance européenne de l’antibiorésistance chez les animaux4. Seuls les élevages d’oiseaux (poulets de chair, poules pondeuses, dindes), cochons et bovins ainsi que les viandes qui en sont issues sont suivis. On ne surveille donc pas l’évolution de l’antibiorésistance chez l’espèce de loin la plus exposée aux antibiotiques. Un rapport de l’EFSA de 2021 confirme le manque de données de suivi de l’antibiorésistance chez les lapins, et souligne l’importance de surveiller cette espèce, du fait de sa très grande consommation d’antibiotiques en termes de consommation par poids.


Recommandations de l’OMS sur l’utilisation en élevage

Les recommandations de l’OMS quant à l’utilisation des antibiotiques dans les élevages sont très claires :

  • réduction globale de l’utilisation de toutes les catégories d’antimicrobiens classés “d’ importance médicale” dans les élevages en usage préventif,
  • restriction complète de l’utilisation préventive des antimicrobiens classés “d’importance médicale” en l’absence de diagnostic clinique,
  • suggestion de ne pas utiliser les antimicrobiens classés “d’importance critique les plus prioritaires” dans les élevages, même en cas de maladie infectieuse diagnostiquée.

Selon ces recommandations, l’utilisation de macrolides (classés dans la très courte liste des « antimicrobiens d’importance critique les plus prioritaires ») dans les élevages devrait être particulièrement restreinte et non pas aller crescendo. L’OMS justifie ainsi le classement des macrolides : « les macrolides sont l’une des rares options thérapeutiques pour soigner les infections graves à Campylobacter, en particulier chez l’enfant pour lequel un traitement par quinolones n’est pas recommandé. Compte tenu de l’incidence élevée des pathologies humaines dues à Campylobacter spp., et en particulier à C. jejuni, le nombre absolu de cas graves est considérable. »
Qui plus est, les conditionnements de trois antibiotiques de la famille des macrolides retrouvées sur le site n'indiquaient pas une utilisation possible pour les lapins.

Quant aux aminosides, eux aussi utilisés dans cet élevage, ils sont classés « antimicrobien d’importance critique hautement prioritaire ». Il s’agit selon l’OMS de la « Seule option thérapeutique ou presque pour soigner l’endocardite entérococcique, la tuberculose multirésistante et l’infection à entérobactéries multirésistantes. »


L’antibiorésistance

On appelle antibiorésistance le développement d’une résistance aux antibiotiques par une bactérie, qu’elle soit pathogène ou inoffensive, présente dans notre corps, chez les animaux, ou dans l’environnement. Lorsqu’une bactérie devient résistante à un antibiotique, ce dernier devient inefficace pour soigner l’infection. Une bactérie devenue résistante peut transmettre cette résistance à d’autres bactéries, et c’est ainsi que l’efficacité des antibiotiques décroît, voire cesse totalement. Si une bactérie est devenue résistante à tous les antibiotiques utilisés ordinairement pour la combattre, on parle « d'impasse thérapeutique ».

L’antibiorésistance est fortement liée au mauvais usage et à la surconsommation d’antibiotiques.

Les conséquences sont dramatiques selon l’OMS : pour un nombre croissant d’infections, comme la pneumonie, la tuberculose, la septicémie et la gonorrhée et les maladies d'origine alimentaire, le traitement devient plus difficile, voire impossible parfois. Sans antibiotiques efficaces pour traiter les infections, certaines interventions telles que les transplantations d’organes, la chimiothérapie ou les césariennes deviendront beaucoup plus dangereuses, ou impossibles.

En France, le ministère de la Santé a tiré la sonnette d’alarme au sujet de l’antibiorésistance : « La résistance aux antibiotiques menace notre mode de vie actuel et compromet toutes les avancées que la médecine a effectuées depuis plus de 70 ans. Si les habitudes de surconsommation d’antibiotiques ne sont pas stoppées, l’antibiorésistance pourrait devenir l’une des principales causes de mortalité dans le monde. »

Contacts presse :
Olivier Morice : 07 54 39 72 54
Sébastien Arsac : 06 17 42 96 84


1. Agreste, nombre de lapins élevés en France, 2021

2. Plan de filière lapin 2018 2022, p. 2

3. Anses, suivi des ventes de médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques en France en 2021, p. 18

4. Décision d'exécution (UE) 2020/1729 de la Commission du 17 novembre 2020 concernant la surveillance et la présentation de rapports relatifs à la résistance aux antimicrobiens chez les bactéries zoonotiques et commensales


À propos de L214

L214 est une association de défense des animaux. Depuis ses débuts en 2008, elle a rendu publiques plus de 130 enquêtes révélant les conditions d'élevage, de transport et d'abattage des animaux. Ces vidéos ont permis de dévoiler les pratiques routinières et les dysfonctionnements d'une industrie qui considère et traite les animaux comme des marchandises.

Forte de plus de 50 000 membres, suivie par plus d'un million de personnes sur les réseaux sociaux, L214 a notamment obtenu l'engagement de plus de 180 entreprises à renoncer aux œufs de poules élevées en cage et aux pires pratiques d'élevage et d'abattage des poulets élevés pour leur chair et la création d’une commission d'enquête parlementaire sur les conditions d'abattage des animaux. Participant activement au débat démocratique, L214 est régulièrement sollicitée par les médias pour son expertise, et revendique l’arrêt de la consommation des animaux et des autres pratiques qui leur nuisent.