« Tueur », « petites victimes », « crime », « assassinat », « massacre », « tuerie », « cruel », « profil psychologique inquiétant », les mots utilisés dans la presse pour décrire les mises à mort de lapins dans des clapiers du Poitou-Charentes par un individu non identifié sont lourds de sens.
Etrange transmutation : la tuerie qui relève du « sadisme » chez un seul s’efface derrière les mots paisibles de « travail » et de « consommation » quand elle est organisée au niveau de la société tout entière. Il est temps d’ouvrir un débat public sur la place accordée aux animaux. Nous savons qu’il est injuste d’abuser de leur faiblesse pour leur infliger le pire. Il est temps de rendre notre société plus éthique et plus cohérente avec ses valeurs.Communiqué de presse – 22/12/09
Poitou-Charentes
Les mises à mort ne relèvent en rien de la sorcellerie, même si les lapines sont systématiquement éventrées et vidées de leurs petits et les lapins systématiquement décapités. Il est préférable d’éloigner les enfants des images. La vidéo met en lumière la « monstruosité [[du]] mode opératoire » (2) et révèle toute l’ambiguïté de notre rapport aux animaux, à la frontière de la schizophrénie collective.
Inquiétant
« Tueur », « petites victimes », « crime », « assassinat », « massacre », « tuerie », « cruel », « profil psychologique inquiétant », les mots utilisés pour décrire les mises à mort de lapins dans des clapiers du Poitou-Charentes par un individu non identifié sont lourds de sens mais justifiés. Au-delà du ton badin parfois utilisé dans les articles de presse ou dans les discussions de comptoir, il règne un malaise certain. Surtout à l’évocation de l’éventration de lapines dont on a extrait les petits, ou encore à celle d’un enfant qui a retrouvé son lapin décapité sur le chemin de l’école.
L’auteur de ces actes macabres est « un prédateur sadique et pervers qui travaille à la chaîne » selon l’adjudant-chef Couvrat, dont les propos sont rapportés dans Sud Ouest (2).
220 000 lapins abattus chaque semaine en Poitou-Charentes
Que dire alors de l’abattage à la chaîne de 220 000 lapins chaque semaine dans la région ? Le Poitou-Charentes est en effet la première région en termes d’abattage (32% du volume national) avec la présence sur le sol des Deux-Sèvres du plus grand abattoir européen de lapins. (3)
Les méthodes sont-elles plus « humaines » que celles pratiquées par le tueur occasionnel ? Hélas non, des problèmes cruciaux dans les abattoirs de lapins ont été mis en évidence par une récente étude scientifique qui met en cause l’efficacité de l’étourdissement électrique, quand il est pratiqué (4). Nul doute que le nombre de ratages en abattoir dépasse celui des victimes du « serial killer ».
Des mises à mort non criminelles
Le délinquant des clapiers inquiète à juste titre : on le soupçonne de tuer pour son plaisir. Rien à voir donc avec l’abattage industriel organisé, puisqu’ici la mise à mort obéit à la plus impérieuse nécessité : les « petites victimes » périssent pour réjouir nos papilles ou décorer les cols de nos manteaux. Qui plus est, avec l’approbation de tous.
Tout va bien.
Tout va bien ?
Etrange transmutation : la tuerie qui relève du « sadisme » chez un seul s’efface derrière les mots paisibles de « travail » et de « consommation » quand elle est organisée au niveau de la société tout entière.
Une alchimie qui ne fonctionne pas pour les lapins : industrielle ou artisanale, la mise à mort implique stress, panique et souffrance. Comme tous les animaux, ils éprouvent des émotions et aspirent à vivre leur vie. Au fond, nul ne l’ignore, même si tout conspire à le faire oublier. Le sentiment parfois violent de malaise devant les images d’abattoir (cf. l’affaire Charal) reflète l’embarras de l’opinion à l’évocation de ces meurtres alimentaires quotidiens et massifs.
Il est temps d’ouvrir un débat public sur la place accordée aux animaux. Nous savons qu’il est injuste d’abuser de leur faiblesse pour leur infliger le pire. Il est temps de rendre notre société plus éthique et plus cohérente avec ses valeurs.
Florence Burgat, « Folie des vaches, folie des hommes – L’oubli de l’animal »,
Le Monde diplomatique, mai 1996, p. 7.
(1) Cette vidéo a été tournée l’été 2007 dans un abattoir de Charente-Maritime. Les lapins tués ce jour-là étaient issus d’une souche particulière : leur peau est utilisée dans l’industrie de la fourrure de luxe, leur chair vendue comme viande gastronomique.
(2) « Mais qui veut la peau des lapins ? Un mystérieux tueur en série décime depuis quelques jours les clapiers de Coulonges- sur-l’Autize (79). Une centaine de lapins ont été tués », Sud Ouest Poitou-Charentes, 16 décembre 2009.
(3) « Situation de la filière cunicole », Préfecture des Deux-Sèvres, 16 juillet 2008. http://www.jean-grellier.fr/IMG/pdf/compte_rendu_DDAF_sur_filiere_cunicole.pdf
(4) S. Rota Nodari, A. Lavazza, P. Candotti, « Evaluation of rabbit welfare at stunning and slaughtering in a commercial abattoir », 9th World Rabbit Congress, 10-13 juin 2008.
Une traduction libre de cet article : http://www.l214.com/lapin/etude-etourdissement-abattage.