La complaisance de plus de 20 ans des services de l’État sur la sellette
En décembre 2021, un éleveur a publié sur Facebook une vidéo de son exploitation sur laquelle tous les cochons avaient la queue coupée. La caudectomie en routine est pourtant une pratique interdite depuis plus de 20 ans. L214 a donc porté plainte, puis le parquet a ouvert une enquête et engagé des poursuites : l’élevage a notamment été condamné par le tribunal correctionnel de Brest à une amende de 20 000 € pour mauvais traitements.
Condamner la coupe systématique des queues des cochons marque un tournant : pratiquée dans 99 % des élevages, cette méthode n’est pourtant jamais sanctionnée par les services vétérinaires de l’État. La décision du tribunal de Brest le rappelle : la législation n’est pas une option.
→ Lire la décision du tribunal de Brest
Pour Brigitte Gothière, cofondatrice de L214 : « La décision du tribunal correctionnel de Brest doit être saluée en ce qu’elle constitue une lueur d’espoir. Pour autant, il faut aller plus loin encore.
Il est urgent que la réglementation soit enfin respectée. La justice française (y compris la Cour d’appel de Riom) l’a expressément reconnu, la caudectomie constitue un acte de mauvais traitement envers les animaux. Elle doit donc être systématiquement sanctionnée, tant par les services vétérinaires que par les juridictions lorsqu’elles sont saisies. Il n’y a pas d’excuse ou de tolérance possible pour une telle pratique routinière et interdite depuis plus de 20 ans.
De plus, il ressort de nombreuses études que la coupe de la queue d’un animal, lui provoque non seulement une vive douleur sur le moment, mais peut également conduire à une gêne chronique sur le long terme.
Aujourd’hui, 95 % des cochons élevés en France le sont selon le modèle le plus intensif. Dans un tel contexte, il est urgent d’imposer a minima le respect de la réglementation par l’ensemble des exploitations : c’est le rôle des services vétérinaires de l’État, aujourd’hui laxistes face aux non-conformités concernant la condition animale.
L214 continuera de se battre pour mettre un terme aux pratiques qui nuisent aux animaux. »
La caudectomie, une source de souffrances pour les cochons
Comme l’avait constaté la cour d’appel de Riom dans une précédente affaire, les conditions de l’élevage intensif « entraînent une importante souffrance animale qui a pour conséquence, en particulier, que les animaux ne se comportent pas comme ils le feraient en milieu naturel ».
Dans ce type d’environnement, le trouble du comportement le plus fréquemment développé par les cochons est la caudophagie. Celle-ci consiste à mordre et grignoter la queue des congénères jusqu’à provoquer des douleurs et des blessures.
Pour lutter contre ce phénomène, plutôt que de modifier les conditions d’élevage, la plupart des exploitations pratiquent la caudectomie systématique.
Or, cette section à vif et sans médication de la queue des cochons provoque des souffrances et une gêne sur le long terme qui ont été observées, documentées et sont connues. C’est d’ailleurs pour cette raison que, selon la cour d’appel de Riom, « la caudectomie ne peut s’analyser que comme un mauvais traitement infligé aux animaux ».
Par un arrêt empreint de fatalisme, pourtant, la cour d’appel de Riom avait finalement relaxé l’élevage poursuivi au motif que la caudectomie serait une conséquence directe d’un choix collectif de faire primer le productivisme sur le caractère sensible des animaux en recourant à l’élevage intensif. Une telle motivation ne correspond toutefois pas à ce que prévoient les textes, comme en atteste le jugement du tribunal correctionnel de Brest commenté ici.
La caudectomie en routine, une pratique interdite depuis 1994 dans l’Union européenne
Dans la présente affaire, la gérante de l’élevage s’est défendue en affirmant ne pas être au courant de l’interdiction de couper la queue des cochons de façon systématique. Cet argument n’a bien évidemment pas convaincu le tribunal correctionnel de Brest qui relève dans son jugement que la réglementation en cause « ne peut être qualifiée de récente ». Au niveau européen, la section systématique de la queue et des dents des cochons est en effet interdite depuis le 1er janvier 1994 (date d’entrée en vigueur de la directive n°91/630/CEE du 19 novembre 1991 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs). En France, il a fallu attendre presque 10 ans pour que ce texte soit transposé.
Une interdiction applicable depuis 20 ans en France
Il résulte de l’arrêté du 16 janvier 2003 que :
« La section partielle de la queue et la réduction des coins ne peuvent être réalisées sur une base de routine, mais uniquement lorsqu’il existe des preuves que des blessures causées aux mamelles des truies ou aux oreilles ou aux queues d’autres porcs ont eu lieu.
Avant d’exécuter ces procédures, d’autres mesures doivent être prises afin de prévenir la caudophagie et d’autres vices, en tenant compte du milieu de vie et des taux de charge. Pour cette raison, les conditions d’ambiance ou les systèmes de conduite des élevages doivent être modifiés s’ils ne sont pas appropriés. »
Concrètement, cela signifie que la caudectomie « ne doit intervenir qu’en ultime nécessité », lorsque toutes les mesures préventives à la caudophagie ont échoué.
Ces mesures consistent à agir sur divers facteurs pour limiter le stress et la frustration (à l’origine de la caudophagie) :
- matériaux d’enrichissement : les cochons ont un besoin impérieux d’explorer leur environnement et de rechercher de la nourriture en reniflant, en mordant et en mâchant ;
- confort thermique, qualité de l’air et lumière : les cochons ont besoin d’un environnement stable, proche de leur température, sans courant d’air et suffisamment éclairé ;
- santé et condition physique : un cochon en mauvaise santé est un cochon stressé ;
- alimentation et abreuvement : les cochons aiment s’alimenter, se reposer et explorer en même temps ce qui implique d’avoir suffisamment d’espace sans avoir à se battre pour se nourrir. Par ailleurs, ils ont besoin d’avoir de l’eau à disposition en permanence.
Une condamnation argumentée du tribunal
En l’espèce, le tribunal correctionnel de Brest a relevé que, contrairement à ce que prévoit la réglementation décrite ci-dessus, les aménagements indiqués et préconisés pour réduire le stress des animaux à l’origine de la pratique de cannibalisme n’avaient pas été mis en œuvre. Par ailleurs, il a constaté qu’aucun suivi de ces actes de cannibalisme n’avait été mis en place.
Le tribunal a également relevé :
- l’absence d’isolement et de soins concernant plusieurs animaux malades souffrant notamment de hernies, d’abcès, d’états de dénutrition avancée et de boiteries,
- l’absence de dispositif d’alimentation dans les cases infirmerie,
- l’absence de dispositif d’abreuvement permanent en eau en verraterie, en gestante et en quarantaine,
Il en a déduit de l’ensemble de ces éléments que l’infraction de mauvais traitement était constituée et a condamné l’élevage et sa gérante à des amendes respectives de 20 000 € et 1 500 €. L’élevage peut faire appel de cette décision.
La France déjà dans le collimateur de la Commission européenne
Bien que les mesures susmentionnées, devant en principe impérativement précéder le recours à la caudectomie, correspondent de toute évidence à un standard minimum, rares sont les élevages qui font l’effort d’y recourir. De manière générale, ceux-ci privilégient la solution (la plus facile certes, mais aussi la plus douloureuse) de la caudectomie systématique.
Un audit réalisé par la Commission européenne en juin 2019 a ainsi révélé que la caudectomie est encore « pratiquée en routine » par 99 % des élevages français et a donc épinglé l’État français.
Face à un tel constat, il est parfaitement légitime de s’interroger sur le rôle que doit jouer l’État pour garantir le respect de la réglementation dans les élevages. Afin de mettre un terme à cette pratique illégale encore trop largement répandue, peut-être est-il temps d’augmenter les inspections et d’imposer à l’administration de prendre des sanctions harmonisées, proportionnées et dissuasives.