Sous les yeux des services vétérinaires impassibles
L214 dévoile aujourd’hui de nouvelles images tournées dans l’abattoir de Bazas en Gironde*.
L’enquête montre des pratiques et des installations qui sont en violation grave de la réglementation, entraînant des souffrances extrêmes pour les animaux (vaches, taureaux, veaux, agneaux, porcelets,…) : coups d’aiguillon dans l’anus, les yeux, étourdissements ratés, animaux suspendus et saignés encore conscients (détails ci-dessous). Une inspection des services vétérinaires de 2016 avait déjà identifié les dysfonctionnements qui perdurent 7 ans plus tard (détails ci-dessous).
L214 demande la fermeture d’urgence de l’abattoir et l’instauration d’un droit de visite des abattoirs par les parlementaires. Une pétition adressée à Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, et à Etienne Guyot, préfet de la Gironde est lancée sur le site de l’association.
L214 porte plainte contre l’abattoir pour cruauté et sévices graves commis envers des animaux auprès du procureur de la République de Bordeaux.
L214 dépose un recours en responsabilité contre l’État auprès du tribunal administratif de Bordeaux pour manquement à sa mission de contrôle de l’application de la réglementation (déjà 4 condamnations de l’État cette année, détails ci-dessous).
L’abattoir de Bazas est géré par une société d’économie mixte constituée de la Communauté de Communes du Bazadais et de Tradisud (nommé aujourd’hui Elevage Nouvelle Aquitaine (ENA)) détenue à 100% par Expalliance, activité bovine du groupe Terres du Sud. L’abattoir abat des animaux majoritairement issus d’élevages locaux et en plein air, dont la viande est notamment commercialisée en direct des producteurs, en boucherie et supermarché, sous IGP Bœuf de Bazas, IGP et Label Rouge Bœuf de Chalosse, IGP Agneau de Pauillac et sous agriculture biologique.
Ressources libres de droits
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Les infractions visibles sur les images :
Les bovins
- Des bovins reçoivent des coups d’aiguillon électriques dans l’anus pour avancer dans des couloirs inadaptés (couloir à angle droit).
- Le box d’immobilisation censé limiter les mouvements des bovins n’est pas adapté. Conséquences, jusqu’à trois veaux rentrent en même temps dans le box individuel. Pour les faire reculer, ils reçoivent des coups d’aiguillon électrique dans les yeux. Cette situation arrive également pour les vaches, boeufs, taureaux.
- Plusieurs bovins paniqués tentent de fuir et se heurtent aux parois du box d’immobilisation.
- Là où un seul coup de pistolet à tige perforante devrait suffire à étourdir les animaux, les ratés sont nombreux et plusieurs coups sont fréquemment donnés dans leur crâne. Les ratés sont dû au pistolet à tige perforante défaillant et au défaut d’immobilisation de la tête des bovins qui rend les tirs hasardeux.
- Des bovins sont suspendus à une patte à la chaîne d’abattage encore conscients (respiration régulière, clignement des yeux) puis saignés. Une vache reçoit plusieurs coups de pistolet à tige perforante dans cette position avant d’être péniblement achevée au couteau.
Les moutons
- Les moutons sont convoyés via un restrainer (deux tapis roulants parallèles censés bloquer les animaux). Ils sont aussi étourdis au pistolet à tige perforante. Il arrive que des moutons soient saignés les uns devant les autres dans le restrainer au lieu d’être suspendus et saignés plus loin.
- Des moutons arrivent à se dégager et tentent de fuir. Certains sont rattrapés par la queue ou les oreilles et replacés brutalement dans le restrainer.
- Des employés courent après les agneaux, couteau à la main, situation très dangereuse pour eux.
- Des moutons reçoivent plusieurs coups de pistolet à tige perforante avant d’être vraiment étourdis là où seul coup devrait être utilisé.
- De nombreux moutons sont suspendus et saignés encore conscients.
Les cochons
- Les cochons sont étourdis à la pince à électronarcose (choc électrique censé provoquer une crise d’épilepsie). Le choc n’est pas immédiat comme il devrait l’être, les cochons hurlent au moment de l’application de la pince.
- Comme pour les bovins, il arrive que plusieurs cochons rentrent dans le box d’immobilisation en même temps. Là aussi, certains reçoivent des coups d’aiguillon dans les yeux pour être forcés de reculer.
- Les porcelets sont étourdis dans le même box d’immobilisation que tous les autres cochons. Le box d’immobilisation n’est pas du tout adapté. La pince à électronarcose n’étant pas adaptée pour eux, ils reçoivent des coups de pistolet à tige perforante hasardeux. Ils s’empilent les uns sur les autres.
- Des porcelets sont clairement conscients quand ils sont relâchés du box d’immobilisation. Un porcelet doit être rattrapé et maintenu par un employé tandis que son collègue chargé de l’étourdissement le rejoint pour lui asséner un autre coup de pistolet à tige perforante.
Les images montrent également des asticots dans la pièce où sont stockés, théoriquement réfrigérés, les restes des animaux (têtes, queues, oreilles, boyaux, etc). On observe également le cadavre d’un veau prêt à naître, tiré d’une vache gestante abattue dans la journée.
Un agent des services vétérinaires bien identifiable sur les images est présent au moment de la mise à mort des animaux. La situation est chaotique mais il n’intervient pas.
Pour Tristan Garcia, écrivain et philosophe, qui présente ces nouvelles images : « Parfois il faut voir pour savoir. Certains d’entre nous savent quelles sont les conditions d’abattage des animaux en France, beaucoup l’ignorent encore. Même si c’est difficile, il faut le montrer. Personne ne peut accepter que la viande qu’il mange ait pour prix ces souffrances. »
Pour Sébastien Arsac, co-fondateur de L214 : « L’abattoir de Bazas est censé être un modèle de ce qui se fait de mieux : circuits courts, viande locale, bio, labellisée. Pourtant, la souffrance extrême des animaux est indéniable et les services vétérinaires de l’État totalement inopérants. C’est une constante, enquêtes après enquêtes. Prendre la sensibilité des animaux au sérieux conduit inévitablement à écarter la viande de nos assiettes. »
* Images tournées en avril et mai 2023Un précédent rapport de 2016
Suite à plusieurs enquêtes diffusées par L214 en 2015 et début 2016, le ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll, avait ordonné un audit généralisé de tous les abattoirs de boucherie. Cet audit montrait que 80 % des chaînes d’abattage des animaux de boucherie présentaient des non-conformités. C’est dans ce contexte que les services vétérinaires ont inspecté l’abattoir de Bazas. L’évaluation globale avait conclu à la note « C – Non-conformité moyenne » pour l’abattoir. L’abattoir était déjà en sursis puisque la plus mauvaise note est D et elle implique la suspension de l’agrément obligatoire pour fonctionner. Les inspecteurs avaient relevé nombre d’infractions qu’on retrouve sur ces images de 2023.
Extraits du rapport de 2016 :
Rapport de 2016 sur les bovins
- (équipement) Le restrainer ne permet pas une contention suffisante pour les animaux de petite taille ou les veaux. D – Non conformité majeure.
- (personnel) Connaissance des bonnes pratiques et des étapes essentielles de maîtrise de la gestion de la protection animale : contrôle interne insuffisant.
- (fonctionnement) Immobilisation insuffisante pour les animaux de petite taille ou les veaux. Le système de rétrécissement du piège n’est pas adapté. – D – Non conformité majeure.
- L’immobilisation des têtes n’est pas prévue, ce qui rend plus difficile l’utilisation du matador.
- (locaux) Les animaux dans le couloir d’amenée voient leurs congénères être suspendus et saignés.
- (équipement) Le restrainer ne permet pas une contention suffisante pour les animaux de petite taille ou pour les agneaux. D – Non conformité majeure.
- (personnel) Connaissances des bonnes pratiques essentielles de maîtrise de la gestion de la protection animale : anomalies majeures connues mais contrôle interne insuffisant.
- (fonctionnement) Immobilisation insuffisante pour les animaux de petite taille ou les agneaux. D – Non conformité majeure.
Rapport de 2016 sur les porcins
- (équipements) Le boitier d’électronarcose n’est pas visible par l’opérateur réalisant l’opération d’étourdissement. La vision des voyants lumineux situés sur le boitier est indispensable. Le système en place ne détermine pas le temps d’application du courant.
- (personnel) L’agent au poste d’étourdissement ne connaît pas véritablement la notion de “mouvements toniques et cloniques”. Ainsi ce dernier n’est pas pris en compte dans la procédure d’application des pinces à électronarcose. La prise en compte, avec le matériel disponible, de tous les facteurs (stress, taille de l’animal, sensibilité individuelle…) n’est pas suffisamment maîtrisée. Il est vrai que les constantes habituelles sont trop faibles et qu’il faut tester des couples A/V plus forts.
- (fonctionnement) Procédure d’étourdissement insuffisamment maîtrisée.
Les services vétérinaires déjà condamnés 4 fois
Cette année, l’État a déjà été condamné 4 fois dans des recours en responsabilité déposés par L214. En mai pour l’abattoir de Rodez (Aveyron), en juillet pour les abattoirs de Briec (Finistère), celui du Faouët (Morbihan) et celui de Mauléon-Licharre (Pyrénées-Atlantiques). Par ces quatre décisions, il a été jugé que l’insuffisance des mesures prises par les services de l’État en dépit des manquements constatés sur plusieurs années était de nature à engager sa responsabilité.
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