Cadavres en élevages : un lanceur d’alerte témoigne


Témoignage d’un agent de collecte des services d’équarrissage des Côtes-d’Armor


Dans une nouvelle vidéo, L214 relaie le témoignage et les images filmées par Jérôme, un lanceur d’alerte choqué par son expérience de ramassage des cadavres en élevages. Cet agent de collecte était chargé de faire la « tournée » quotidienne des élevages aux alentours de Saint-Brieuc afin de ramasser les poubelles remplies des cadavres d’animaux n’ayant pas survécu aux conditions de vie dans ces systèmes majoritairement intensifs. Une facette peu connue de l’élevage qui concerne pourtant plus de 40 millions d’animaux chaque année.

« Avant de commencer ce métier, je ne me doutais pas du tout du nombre d’animaux qui mourraient dans cette industrie ». Sur les images filmées par le lanceur d’alerte en mai et juin 2022, on voit des bennes remplies de cadavres, parfois en putréfaction, entièrement recouverts d’asticots. Des bacs remplis à ras bord d’oiseaux, de lapins ou de porcelets sont renversés dans le camion-benne qui sera ensuite vidé dans un centre de collecte.

Parfois, des animaux vivants sont mis à la poubelle avec les cadavres de leurs congénères, bien que cela soit interdit (les services d’équarrissage n’ont pas le droit de ramasser des animaux vivants). Sur les images, on voit un porcelet encore vivant s’agiter au milieu des cadavres : averti par Jérôme, l’éleveur l’emporte pour s’en « débarrasser ».
Dans un autre élevage, des oisillons vivants piaillent dans le bac plein de cadavres et Jérôme le signale : « à ce moment-là, j’ai prévenu quelqu’un qui n’avait pas l’air habitué à achever des oisillons et qui a passé de longues minutes à essayer de leur tordre le cou et de les claquer contre la benne ».

Enquête équarissage avril 2023

Surpris et écoeuré par le nombre d’animaux morts en élevages, le lanceur d’alerte raconte aussi la pénibilité de ce métier. Confrontés chaque jour à la vision de ces cadavres et surtout aux odeurs pestilentielles, les ramasseurs de cadavres sont en plus exposés au danger et à la saleté. Certaines truies ou vaches, mortes depuis longtemps, peuvent « exploser » à cause des gaz accumulés dans les corps : «  j’ai déjà eu des collègues qui se sont retrouvés couverts de merde entièrement » raconte Jérôme. Lui a déjà dû ramasser à la main des viscères tombées au sol après qu’un bac s’est accidentellement renversé.


Plus de 40 millions d’animaux meurent dans les élevages chaque année en France

En 2021, 447 759 tonnes d’animaux morts en élevage ont été ramassées en France, soit environ :

  • 36 millions de poulets1 (hors grippe aviaire)
  • 6,5 millions de cochons2
  • 1,4 million de canards3
  • 250 000 bovins4
  • 320 000 caprins5

Cette facette de l’élevage est peu connue mais elle fait partie intégrante du modèle économique des élevages, en particulier des élevages intensifs. Dans ces derniers, les animaux sont entassés à des densités très importantes, sans accès à l’extérieur, dans des conditions qui ne répondent pas à leurs besoins comportementaux et physiologiques et où les blessures et maladies sont monnaie courante. Dans un élevage de plusieurs milliers de cochons ou de dizaines de milliers de poulets, il est évidemment impossible d’isoler et de soigner chaque animal blessé ou malade.

Dans le modèle intensif, les animaux sont génétiquement sélectionnés pour être les plus productifs possibles. À titre d’exemple, les souches de poulets utilisés pour produire de la viande atteignent aujourd’hui leur poids « d’abattage » à l’âge de 35 jours, soit 4 fois plus vite qu’en 19506. Cette croissance ultrarapide engendre des malformations et des problèmes cardiaques et pulmonaires, qui font grimper le taux de mortalité des poulets en élevage à 4,4 %7 (soit 1 000 morts pour un élevage de 20 000 poulets).

Ces taux de mortalité importants sont également dus aux mises à mort routinières de jeunes animaux lorsqu’ils sont trop chétifs, malades ou en surnombre  : dans les élevages de cochons, les porcelets sont « claqués » (frappés contre le sol ou contre un mur) ; même pratique dans les élevages de lapins, où 8 lapereaux sur 100 sont tués dès la naissance.

Pour Brigitte Gothière, cofondatrice de L214 : « Si les abattoirs manquent de transparence, il existe des morts bien plus discrètes encore. Des milliers d’animaux meurent ou sont tués derrière les murs des élevages, à l’abri des regards. Seuls ceux qui font le sale boulot voient l’ampleur du massacre en remplissant chaque jour leurs camions-bennes de milliers de cadavres.
Tous ces animaux morts, c’est pourtant la réalité d’un modèle de masse qui a poussé la productivité des animaux à son paroxysme : les animaux sont sélectionnés génétiquement pour grossir plus vite, faire plus de petits, produire plus de lait ou d’œufs, et ce au détriment de leur santé. Aussi, comme dans n’importe quel modèle économique, il y a un taux de perte : pour faire de l’élevage intensif de poulets, on intègre qu’un poulet sur 20 ira à la poubelle. Finalement, on parle de poulets ou de cochons comme on parlerait de chaussures : certains n’arriveront pas au bout de la ligne de production, et bien tant pis, c’est quand même rentable !
 »


1 [Poulets] Dernier taux de mortalité moyenne connu : 4,4 % de mortalité en 2018.
Selon ITAVI, Performances techniques et coûts de production en volailles de chair, résultats 2018, p. 10
En 2021, 823,1 millions de poulets de chair ont été mis en place dans les élevages.
Selon ITAVI, Filière volailles de chair, Mises en place de volailles de chair dans les élevages par principales espèces en France, onglet Production
À ce taux de mortalité, 36 216 400 poulets sont morts en élevage.

2 [Cochons] En 2021, la prolificité moyenne dans les troupeaux français est de 16,4 ± 1,3 nés totaux et 15,1 ± 1,1 nés vivants. Les taux de perte sont de 21,2 ± 4,9 % sur nés totaux (ce qui inclut les morts-nés)
Selon IFIP, Journées de recherche porcine 2023, « Survie des porcelets en maternité : utilisation des nouvelles fonctionnalités de l’outil PertMat pour évaluer les pratiques de gestion des porcelets surnuméraires »
Selon Ministère de l’agriculture, Agreste, Statistique agricole annuelle 2021 Chiffres définitifsp. 23 , 23 462 334 porcs et porcelets ont été abattus, sans compter 376 117 truies et verrats.
En incluant les cochons morts en élevage, cela fait 23 462 334 / (1-0,212) = 29 774 535 porcelets mis en place en 2021, parmi lesquels 6 521 220 cochons ont été mis à l’équarrissage en 2021.

3 [Canards] Dernier taux de mortalité moyenne connus et nombre d’animaux abattus : 3,6 % de mortalité et 29 454 000 animaux abattus en canard de chair en 2018. Selon ITAVI, Performances techniques et coûts de production en volailles de chair, résultats 2018, p. 25
1,7 % de mortalité a minima en 2012 et 21 258 000 animaux abattus en canard à foie gras en 2021.
ITAVI Antenne région Sud-Ouest, Résultats de la campagne 2012 (exercice 2011-2012) – Réseau de fermes de référence palmipèdes à foie gras, p. 26 et 28 et selon le Ministère de l’agriculture, Agreste, Statistique agricole annuelle 2021 Chiffres définitifs, p. 24.
Ce qui donne 30 553 941 canard de chair mis en place en 2021, dont 1 099 941 canards de chair à l’équarrissage .
Ce qui donne 221 625 635 canard à fois gras mis en place en 2021, dont 367 635 canards à foie gras à l’équarrissage .
Au total, 1 467 576 canards ont été mis à l’équarrissage en 2021.

4 [Bovins] Dernier taux de mortalité moyenne connus et nombre d’animaux abattus :
8 % de mortalité moyenne en bovin viande pour 1 037 593 bovins abattus.
3,5 % de mortalité moyenne chez les veaux de boucherie pour 1 170 134 animaux abattus.
13 % de mortalité moyenne en bovins laitiers pour 826 831 vaches laitières abattues.
Selon la Chambre d’agriculture de Bretagne, « Mortalité des veaux : pas de fatalité, mais des solutions », Terra, n° 559, 12 novembre 2016, p. 17-21.
Selon Idele, Repères techniques et économiques en élevages de veaux de boucherie, Résultats 2021
Selon Idele, de nouvelles anomalies génétiques liées à la mortalité des génisses, janvier 2023 et selon Ministère de l’agriculture, Agreste, Statistique agricole annuelle 2021 Chiffres définitifs, p. 23
Ce qui donne :
90 225 bovins à l’équarrissage
42 440 veaux de boucheries
123 549 bovins laitiers
Soit un total de 256 214 bovins à l’équarrissage.

5 [Caprins] Dernier taux de mortalité moyenne connus et nombre d’animaux abattus :
14 à 18 % d’équarrissage a minima chez les chevreaux et 815 300 animaux abattus
12% de mortalité chez les reproducteurs en moyenne, pour un cheptel de 1 392 992 animaux.
Selon Anicap, Plan de filière caprine française, décembre 2017, page 21.
Selon Interbev, Caractérisation de la filière viande caprine, 2016, page 9.
et selon Ministère de l’agriculture, Agreste, Statistique agricole annuelle 2021 Chiffres définitifs, p. 21 et p.23.
Ce qui donne :
132 723 chevreaux
189 953 reproducteurs
Soit un total de 322 676 caprins à l’équarrissage.

6 Commission européenne, 2016. Rapport de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil sur l’incidence de la sélection génétique sur le bien-être des poulets destinés à la production de viande, p.15.

7 [Poulets] Dernier taux de mortalité moyenne connu : 4,4 % de mortalité en 2018.
Selon ITAVI, Performances techniques et coûts de production en volailles de chair, résultats 2018, p. 10.
En 2021, 823,1 millions de poulets de chair ont été mis en place dans les élevages.
Selon ITAVI, Filière volailles de chair, Mises en place de volailles de chair dans les élevages par principales espèces en France, onglet Production.
À ce taux de mortalité, 36 216 400 poulets sont morts en élevage.