Isabelle Adjani dénonce « l’élevage sordide du 1er producteur européen de fromages de chèvre fermier »

Des tables de Paul Bocuse à la « filière responsable » Auchan

« Non, ce n’est pas un fromage qui peut justifier tant de souffrance. » Isabelle Adjani et L214 dénoncent aujourd’hui les conditions d’élevage déplorables du 1er producteur européen de fromages de chèvre fermier : chevreaux à l’agonie abandonnés sans soins, élevage zéro pâturage, chèvres enfermées par milliers, coups de bâton, système intensif… Les images, obtenues grâce à des salariés de l’exploitation, ont été filmées dans l’élevage de l’entreprise Chevenet (Saint-Maurice-de-Satonnay en Saône-et-Loire) qui produit plus de 4 millions de fromages chaque année.

Ces fromages de chèvre, dont 2 sont sous AOP (le Mâconnais et le Charolais). Les produits sont commercialisés sous les marques Grandjean, Le Chevrier des Crays, Chevenet.

Informées ce mercredi 26 octobre par L214 des pratiques du producteur, les enseignes Carrefour, Monoprix, METRO, Grand Frais, Auchan, Système U ont annoncé qu’elles suspendaient les approvisionnements des produits concernés. Carrefour et Auchan ont également lancé une procédure de retrait des produits de ses rayons ainsi qu’une procédure d’enquête interne. Les établissements Paul Bocuse ont annoncé ne plus travailler avec l’entreprise Chevenet.

→ Le communiqué de presse

Enquête élevage chèvres Chevenet

Un élevage zéro pâturage

Loin de l’image d’Épinal de la production de fromage de chèvre, cet élevage enferme environ 2 000 chèvres ayant pour seul accès extérieur une cour bétonnée. Elles n’ont jamais l’occasion de paître : c’est un élevage sans accès au pâturage.

Les chèvres y sont « désaisonnées » : par procédé artificiel, elles peuvent mettre bas à deux périodes différentes (août et janvier) malgré leur cycle naturel annuel de reproduction (automne). Les chèvres qui rencontrent des difficultés à la mise bas sont envoyées à l’abattoir. Les nouveau-nés sont retirés à leur mère dès la naissance : les chevreaux sont vendus à l’engraissement tandis que la majorité des chevrettes sont nourries avec du lait en poudre le temps de grandir pour renouveler le cheptel. Les autres seront vendues à l’étranger1.

Des dizaines de ces chevreaux meurent chaque jour, souvent après une longue agonie. Nombre d’entre eux présentent des diarrhées. Les morts sont entassés à l’extérieur avec d’autres cadavres en décomposition avancée et des ossements.

Deux fois par jour, les chèvres entassées dans une aire d’attente sont dirigées par un portail électrifié vers la salle de traite automatique. Chaque jour, jusqu’à 3,5 litres de lait par chèvre sont ainsi collectés2 : la sélection génétique des chèvres laitières permet d’augmenter les volumes de production de lait 3.

La conduite d’élevage de l’exploitant, Thierry Chevenet, est choquante. Au vu des images, des témoignages des salariés et de la déclaration même du dirigeant « C’est à ce prix que mon cheptel ne souffre d’aucune maladie car seuls les animaux les plus sains subsistent et donnent le meilleur lait », les animaux les plus faibles sont laissés sans soins, souvent jusqu’à la mort, alors que la réglementation exige de leur en apporter.

À l’origine de l’enquête : deux salariés lanceurs d’alerte

Choqués, deux salariés qui ont travaillé cet été dans l’élevage de l’entreprise Chevenet ont contacté l’association L214 pour témoigner de leur expérience :
« Je m’attendais à un élevage de chèvres mais je ne m’attendais pas à un élevage intensif comme ça. Je pensais qu’on allait travailler avec des chevreaux, qu’il y allait certes avoir quelques morts parce que la nature c’est comme ça, mais je ne pensais pas qu’on allait voir des chèvres et chevreaux morts laissés en plein milieu des autres, pendant des journées entières. Je ne pensais pas à un élevage intensif avec autant de maltraitance. Je pensais qu’il y avait plus de respect de l’animal, quand même. »
« Ça sentait la mort partout. Les animaux morts sont placés derrière l’élevage, déposés à même le sol. Le lendemain, quand on revenait, il y avait le même tas de chèvres qui commençaient à pourrir, avec de nouveaux animaux morts déposés entre-temps.  »
« Je ne pensais pas que ce serait aussi horrible. Je ne pensais pas que j’allais vivre un jour ce genre de choses […]. Eh bien si. Et en fait, il y en a plus que ce qu’on croit. Et il faut en parler parce que ça ne doit pas rester caché. »

→ Le témoignage complet

L214 lance un appel à témoignages

Ces deux lanceurs d’alerte ne sont pas les seuls à exprimer leur colère et leur incompréhension. Depuis 2018, plusieurs commentaires ont été déposés sur Internet, critiquant ouvertement les pratiques de cet élevage et les conditions de vie des animaux. C’est pourquoi L214 lance un appel à témoignages afin de déterminer depuis quand cette situation perdure :

« Vous travaillez ou avez travaillé au sein de l’entreprise Chevenet ou d’un de ses élevages partenaires, et vous avez relevé des manquements en termes de bien-être des animaux ? Nous vous invitons à témoigner en nous écrivant à [email protected]. »

L214 porte plainte, interpelle la préfecture et les supermarchés

Ce mercredi, l’association a déposé une plainte contre l’élevage pour mauvais traitement et pour pratiques commerciales trompeuses auprès du tribunal de Mâcon. En ce sens, L214 a interpellé les services vétérinaires (DDPP) et la direction générale de la Répression des fraudes (DGCCRF) de la préfecture de Saône-et-Loire.

En effet, les conditions de vie misérables des animaux sont en décalage évident avec la communication de l’entreprise : « terroir », « tradition », « respect des animaux », « production traditionnelle »… Le tout représenté par des photos de chèvres en plein air. Aussi, une partie de ces fromages bénéficient d’une appellation d’origine protégée (AOP).

C’est pourquoi L214 et les signataires de sa pétition dénoncent cette communication mensongère qui trompe le consommateur, et demandent aux distributeurs des fromages Chevenet et à la Fédération du Commerce et de la Distribution de se détourner des produits provenant des exploitations qui exercent les pires pratiques d’élevage.

→ La pétition

capture d'écran site Chevenet

Capture d’écran du site internet de la fromagerie Chevenet où l’on voit des chèvres en plein air

Pour Sébastien Arsac, cofondateur de L214 : « S’il y a bien un produit qui renvoie une image idyllique de sa production, c’est le fromage de chèvre ! Pourtant, la réalité est bien éloignée de cette image d’Épinal véhiculée et entretenue par la communication des filières animales. Le témoignage poignant des lanceurs d’alerte permet d’adopter un autre point de vue sur la fabrication d’un fromage de chèvre : les chevreaux jouant dans les pâtures vertes sont remplacés par des chevreaux à l’agonie dans des boxes, et les grands espaces montagneux sont remplacés par une cour bétonnée jonchée de cadavres en décomposition. Il est désolant de constater que les intérêts économiques prédominent encore sur les conditions de vie des animaux, et sur l’information aux consommateurs. »

Chevenet : 250 tonnes de fromages vendus chaque année en supermarchés, crémeries et restaurants

Créée au milieu des années 1960, la fromagerie Chevenet produit chaque année environ 250 tonnes4 de préparations fromagères sous les marques Grandjean, Le Chevrier des Crays et Chevenet, soit environ 4 millions de fromages.

L’entreprise produit ses fromages à partir du lait des chèvres de son élevage et travaille sous contrat avec une vingtaine de producteurs fermiers de la région qui produisent pour elle du lait ou des fromages en blanc (non affinés).

50 %1 de sa production fromagère est vendue en supermarchés dont Carrefour, Monoprix, Auchan, U, Grand Frais. 40 %1 est vendue dans les crémeries et restaurants de prestige comme le restaurant Paul Bocuse à Collonges-au-Mont-d’Or et dans ses brasseries lyonnaises, et par des distributeurs professionnels comme METRO, Transgourmet ou au marché international de Rungis. Environ 8 %1 est exportée, de la Scandinavie au Japon.

Par ailleurs, le dirigeant, Thierry Chevenet, confiait dans une interview en 2018 : « Nos fromages sont consommés lors de repas au palais présidentiel de l’Élysée ou dans les ministères, tout comme lors d’événements de prestige, tels que le tournoi de Roland-Garros ou le Festival de Cannes. »

Des critiques publiques contre l’élevage

Ces dernières années, plusieurs avis ont été déposés sur Facebook, Les Pages jaunes et Google critiquant la façon de traiter les animaux dans les élevages Chevenet ou sous contrat avec l’entreprise.

2022 : « La chèvrerie est une honte envers le respect de l’animal avec un patron qui ne pense qu’au profit et qui ne respecte en aucun cas ses employés et encore moins les saisonniers… »

2021 : « Ils s’occupent mal de leurs chèvres, ils n’y connaissent rien. »

2021 : « Cet élevage n’est pas bien … pas de bien-être animal. » « Ils n’aiment pas réellement les animaux. »

2019 : « Bien être de l’animal = 0. »

2018 : « Si les conditions d’élevage étaient connues des clients et de ces grands restaurants dont il se vante bien, ses fromages se vendraient beaucoup moins. Chèvres aux pattes coupées, mamelles éventrées par les fils de fer, yeux percés par ces derniers aussi… Ne pas croire ces journalistes qui le [l’exploitant] mettent en avant avec 10 chèvres en pâture tel un berger, car premièrement il ne va jamais dans les chèvres, et deuxièmement les chèvres ne vont jamais à l’herbe, tout est mis en scène. Ce n’est plus qu’un business-man qui ne voit plus que la rentabilité, et qui se fout complètement du bien-être animal. »

L214 lance un appel à témoignage : « Vous travaillez ou avez travaillé au sein de l’entreprise Chevenet ou d’un de ses élevages partenaires et vous avez relevé des manquements en termes de bien-être des animaux ? Nous vous invitons à témoigner : [email protected]. »

Élevage de chèvres : zoom sur la production de lait et de fromage

En Bourgogne-Franche-Comté, 22 millions de litres de lait sont produits par environ 28 000 chèvres chaque année. La région se classe ainsi au 6e rang des régions françaises. Le cheptel caprin de Bourgogne-Franche-Comté se situe principalement dans l’ouest de la région : en particulier dans la Saône-et-Loire, où sont élevés 55 % des caprins. Cette concentration du cheptel s’explique par la production de 2 fromages sous appellation d’origine protégée, le Mâconnais et le Charolais.

En France, on dénombre environ 5 900 élevages pour la production de lait et/ou de fromages de chèvre, majoritairement situés en Nouvelle-Aquitaine. Cela représente une collecte d’environ 660 millions de litres par an, une chèvre laitière produisant environ 1 000 litres de lait chaque année. 60 % des chèvres5 sont élevées en système intensif, sans jamais être au pâturage.

En élevage, la durée de vie d’une chèvre laitière est de 3 ans et demi, pour 2 lactations et demie. Le taux de renouvellement annuel est de 30 %6.

1. Guignier B., « Un fromager conquérant », alimentarium.org, 19 mars 2018.
2. Marc-Anthony Champagnon, « Fromage de chèvre par tradition – fromagerie Chevenet », 4 mai 2021.
3. Sélection des races caprines laitières, France Génétique Élevage.
4. Ribeiro F., « Le développement insolent de la fromagerie Chevenet », Le Journal de Saône-et-Loire, 12 septembre 2022.
5. Recensement agricole 2010.
6. Réussir, septembre 2022.