Le 24/12/2020
Une opération de com’ pour Herta ?
Dans un communiqué de presse publié le 17 décembre, la préfecture de l’Allier conclut « à la bonne tenue de l’élevage et à l’absence de non-conformité majeure » concernant l’élevage de Limoise (Allier) sous contrat avec Herta, dont L214 a révélé les images le 3 décembre.
Non-dits, mensonge manifeste, le communiqué de la préfecture de l’Allier pose à nouveau la question de l’impartialité, du rôle des services de l’État, de leur capacité à contrôler et à faire appliquer la réglementation.
Au vu de cette communication des services vétérinaires, Herta annonce la reprise de son approvisionnement dans cet élevage. L’entreprise va continuer à vanter une « filière Préférence » qui serait plus attentive au bien-être animal, comme elle le fait sur son site : « Depuis 2013, nous avons créé notre propre filière porcine : “HERTA® s’engage filière Préférence”. Avec cette filière, HERTA® signe les prémices de l’élevage moderne et plus responsable. La “filière Préférence” initie une démarche plus respectueuse de l’environnement et du bien-être animal. », alors que cette filière ne fait aucune différence avec les élevages standard.
Dans notre enquête, nous dénonçons :
- des infractions à la réglementation (nous développons ci-dessous 4 points cruciaux) ;
- des conditions d’élevage standard fortement préjudiciables aux animaux mais légales aujourd’hui : les cages pour les truies, les densités d’élevage fortes, la promiscuité, le « claquage » des porcelets, la mortalité élevée ;
- la tromperie d’une « filière Préférence » Herta, mettant en avant une différence en matière de bien-être animal alors que les cochons sont élevés dans les mêmes conditions qu’en standard.
Nous faisions également remarquer la très grande quantité de produits pharmaceutiques, dont des médicaments et antibiotiques périmés depuis 10 ans, et la présence de colistine, un antibiotique classé dans la catégorie des antibiotiques d’importance critique à priorité élevée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Le communiqué de presse de la préfecture de l’Allier élude les infractions à la réglementation : sa parole peut être sérieusement mise en doute au vu de certains éléments que nous détaillons ci-dessous.
→ Lire notre communiqué de presse du 3 décembre
→ Voir et télécharger des images brutes (35′ – libres de droits)
→ Voir et télécharger des photos (libres de droits)
Pour Brigitte Gothière, cofondatrice de L214 : « Le communiqué de presse de la préfecture de l’Allier est scandaleux. Il laisse entendre que cet élevage est conforme à la réglementation et que les services vétérinaires n’ont constaté aucune des infractions relevées par L214. C’est une tentative claire d’entamer la crédibilité de notre travail d’enquête.
Nous avons par le passé pu prouver des mensonges des services vétérinaires et du ministère de l’Agriculture. Ici, le doute est de nouveau permis.
Nous réitérons notre demande : la condition animale doit être retirée des attributions du ministère de l’Agriculture et être confiée à un ministère moins exposé à l’influence des lobbies de l’agroalimentaire.
Quant à Herta qui reprend ses approvisionnements dans cet élevage, démonstration est faite que leur “filière Préférence” est une opération marketing, rien de plus en ce qui concerne “le bien-être animal”. »
Un communiqué à décharge douteux
Le communiqué de la préfecture de l’Allier soulève de nombreuses questions dans ce qu’il dit et dans ce qu’il ne dit pas. Le rapport d’inspection n’est d’ailleurs pas mis à disposition.
On peut y lire :
« De manière générale, l’inspection conclut à la bonne tenue de l’élevage et à l’absence de non-conformité majeure.
Contrairement aux éléments filmés, il n’a pas été observé d’animaux en souffrance ni de cadavres. »
Côté L214, nous avons soulevé des points d’attention comme le nombre important de cadavres, les porcelets qui naissent sur une surface dans laquelle ils peuvent se coincer les pattes, la coupe systématique des queues, l’absence de matériaux manipulables conformes à la réglementation.
Communication fallacieuse de la préfecture
Dans son communiqué, la préfecture dit avoir contrôlé « la conformité de l’ensemble des locaux où sont détenus les animaux présents ». D’après elle, pas de non-conformités majeures. Si on peut légitimement se demander quels sont les critères de classement des non-conformités, qu’en est-il donc non-conformités autres que majeures ? Pourquoi ne sont-elles même pas évoquées ?
Les pattes coincées des porcelets par les caillebotis
Sur les images que nous avons montrées, on peut voir des porcelets nouveau-nés se coincer les pattes dans le caillebotis, ce sol ajouré qui permet d’évacuer les excréments.
Dans l’article R-214-17 du Code rural 1.3, il est précisé :
« Il est interdit à toute personne qui, à quelque fin que ce soit, élève, garde ou détient des animaux domestiques ou des animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité :
(…)
3° De les placer et de les maintenir dans un habitat ou un environnement susceptible d’être, en raison de son exiguïté, de sa situation inappropriée aux conditions climatiques supportables par l’espèce considérée ou de l’inadaptation des matériels, installations ou agencements utilisés, une cause de souffrances, de blessures ou d’accidents ; »
Dans l’arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs, il est précisé en annexe :
« 5. Les sols doivent être lisses mais non glissants de manière que les porcs ne puissent pas se blesser et doivent être conçus, construits et entretenus de façon à ne pas causer de blessures ou de souffrances aux porcs. Ils doivent être adaptés à la taille et au poids des porcs et, en l’absence de litière, former une surface rigide, plane et stable. »
Dans le vade-mecum relatif à l’inspection d’un élevage porcin disponible sur le site du ministère de l’Agriculture, il est bien noté : « Les fentes des caillebotis doivent être d’une taille inférieure à celle des onglons des porcs qui ne doivent pas passer au travers. »
Aucun cadavre ? Comment est-ce possible ?
Dans le communiqué de la préfecture, il est noté « Contrairement aux éléments filmés, il n’a pas été observé d’animaux en souffrance ni de cadavres. »
Plusieurs éléments permettent de mettre sérieusement en doute cette affirmation. Nous ne nous prononcerons pas sur les animaux en souffrance, il est possible que miraculeusement 10 000 cochons soient en pleine forme, bien que nombre d’hernies peuvent être observées sur les images.
En revanche, ne trouver aucun cadavre, comment est-ce possible ? Le taux de mortalité moyen en élevage de cochons est de 20 %. Sur 10 000 cochons, cela représente 2 000 morts par an, soit environ 5 par jour.
Ces données sont corroborées par le registre de l’élevage où sont notés les porcelets morts et ceux éliminés (et ce registre ne concerne que la maternité !).
Les poubelles et congélateurs devraient au moins en contenir. À moins que l’équarrisseur soit passé le matin même de l’inspection ? Heureux hasard ?
Dans les élevages, il y a des morts. Les bons d’équarissage, les registres tenus par l’exploitant les répertorient. Pourquoi les services de la préfecture ont-ils tenu à noter l’absence de cadavres ? Une façon de mettre en doute l’enquête de L214 ?
La coupe systématique des queues
Magie de ce communiqué, il n’est pas fait mention de la coupe systématique des queues. Pourtant, tous les cochons de cet élevage, hormis quelques porcelets fraîchement nés, ont la queue coupée.
Or, l’arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs dans son annexe point 8, stipule :
« La section partielle de la queue et la réduction des coins ne peuvent être réalisées sur une base de routine, mais uniquement lorsqu’il existe des preuves que des blessures causées aux mamelles des truies ou aux oreilles ou aux queues d’autres porcs ont eu lieu. Avant d’exécuter ces procédures, d’autres mesures doivent être prises afin de prévenir la caudophagie et d’autres vices, en tenant compte du milieu de vie et des taux de charge. Pour cette raison, les conditions d’ambiance ou les systèmes de conduite des élevages doivent être modifiés s’ils ne sont pas appropriés. »
Dans le vade-mecum relatif à l’inspection d’un élevage porcin, il est noté :
« La caudectomie ne doit pas être pratiquée systématiquement, mais seulement lorsque la caudophagie persiste malgré le recours à des mesures préventives. […]
Les mesures préventives sont, notamment :
– la présence de matériaux manipulables par les animaux,
– une surface par animal adaptée dans les cases collectives,
– la maîtrise de la qualité et de la température de l’air ambiant, et des courants d’air,
– une alimentation adaptée et un abreuvement suffisant,
– la limitation des mélanges entre porcs. »
La France a été rappelée à l’ordre par la Commission européenne en février 2020 sur ce point précis : 7 ans après son entrée en vigueur, la filière porcine française n’applique toujours pas la loi en matière de coupe des queues. La Commission européenne précise : « il n’existe pas de cadre solide pour garantir que les éleveurs mettront en place les mesures d’amélioration nécessaires, ni d’orientation pour l’évaluation de ces mesures par les inspecteurs. »
Nous sommes au cœur du problème.
La question est : est-ce que tout a été mis en œuvre dans cet élevage pour éviter la coupe des queues ?
La réponse est claire : non. L’enrichissement du milieu est un des moyens pour agir contre la caudophagie comme le précise d’ailleurs le vade-mecum. Dans cet élevage, elle est inexistante ou non-conforme, selon les enclos.
Des matériaux manipulables ?
L’arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs précise que les cochons doivent avoir accès à des matériaux manipulables :
« Tous les porcs doivent pouvoir accéder en permanence à une quantité suffisante de matériaux permettant des activités de recherche et de manipulation suffisantes, tels que la paille, le foin, la sciure de bois, le compost de champignons, la tourbe ou un mélange de ces matériaux, qui ne compromette pas la santé des animaux.
Le type et le nombre de matériaux manipulables sont les suivants :
– pour les cases contenant jusqu’à 25 porcs : au moins un matériau optimal ou un matériau sous-optimal et un matériau d’intérêt minime ;
– pour les cases contenant de 26 à 40 porcs : au moins un matériau optimal, ou deux matériaux sous-optimaux ou un si plus de deux porcs peuvent accéder simultanément, et un d’intérêt minime ;
– pour les cases contenant plus de 40 porcs : au moins un matériau optimal ou deux matériaux sous-optimaux et deux matériaux d’intérêt minime ou un si plus de deux porcs peuvent accéder simultanément ;
– dans le cas particulier des cases contenant jusqu’à 10 porcs femelles reproductrices, des verrats en case individuelle et des cochettes et porcs femelles reproductrices en stalle individuelle : au moins un matériau optimal ou sous-optimal. »
Pour en savoir plus sur ces matériaux, on peut se référer à la recommandation du 8 mars 2016.
Sur les images, on ne constate aucun matériau dans la majorité des enclos et des cases. Dans quelques enclos, une chaîne pend du plafond : elle ne répond clairement pas aux qualités requises.
Des services vétérinaires peuvent-ils mentir ?
La réponse est évidente : oui.
Le travail et les images de L214 ont été plusieurs fois mis en doute, notamment par les autorités. L’exemple récent le plus parlant concerne l’abattoir de Sobeval. Les services du ministère de l’Agriculture et de la préfecture (services vétérinaires) se sont accordés pour mentir, affirmer qu’aucune non-conformité n’était relevée par leurs services… jusqu’à ce qu’un mail leur échappe et vienne dévoiler leurs mensonges : ils relevaient les mêmes non-conformités que L214 mais avaient élaboré des « éléments de langage béton » pour nier avec aplomb les infractions. Si une erreur de destinataire de mail n’avait pas eu lieu, nous serions restés à la version des autorités couvrant les violations de la réglementation d’un abattoir et mettant en doute le sérieux du travail d’enquête de L214.
→ En savoir plus sur la défaillance des services de l’État au sujet de l’abattoir Sobeval
Il nous paraît aujourd’hui nécessaire de prendre de la distance avec les communications de l’État au sujet des contrôles, des manquements à la réglementation, en particulier dès que des élevages, des transports ou des abattoirs sont concernés. Le ministère de l’Agriculture n’a aujourd’hui aucune indépendance vis-à-vis des filières et des syndicats agricoles.
L’attribution « condition animale » doit être retirée à ce ministère et être confiée à un ministère moins exposé à l’influence des lobbies de l’agroalimentaire.