Cellule « Demeter » : le gouvernement veut intimider les associations de défense des animaux

Le 20/12/2019

La FNSEA à la manœuvre pour maintenir un modèle agricole effroyable

Avec la cellule « Demeter », le gouvernement entend renforcer les moyens alloués à la répression du mouvement de défense des animaux. S’appuyant sur des chiffres instrumentalisés et des arguments fallacieux, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner souhaite que « l’antispécisme soit un des axes prioritaires du renseignement ». Ces moyens démesurés visent à faciliter les inculpations pour association de malfaiteurs : une infraction qui peut être punie de 10 ans de prison et jusqu’à 150 000 euros d’amende. C’est une véritable menace pour les lanceurs d’alerte et une entrave au débat démocratique nécessaire autour de notre modèle agricole.

Christophe Castaner s’est rendu la semaine dernière dans un élevage de cochons du Finistère pour présenter la cellule « Demeter », dédiée au « suivi des atteintes au monde agricole ». À cette occasion, il a affirmé que des mesures permettront de « renforcer les moyens dans le monde judiciaire (…) afin de lier des faits qui peuvent apparaître non liés, pour ensuite constituer des associations de malfaiteurs sur lesquelles nous devons enquêter » et a signé une convention avec les représentants de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs (JA).

Devant les parlementaires, Christophe Castaner a mis en cause « ceux qui, au nom d’une idéologie, transgressent les lois ». Or, sur les 14 498 faits enregistrés en 2019 par le ministère de l’Intérieur dans les exploitations agricoles, dont 64,5 % sont des vols (cambriolages, vols de tracteurs, de GPS, de carburant…), la FNSEA aurait recensé 41 « intrusions » dans des élevages par des militants animalistes. Un échantillon de 0,28 % monté en épingle et associé à des actes de vandalisme sans rapport pour « justifier » un arsenal répressif démesuré.

Pour Brigitte Gothière, cofondatrice de L214 : « Cette entrave au débat démocratique est inquiétante. Le seul crime des associations est d’exposer publiquement ce que la FNSEA et l’industrie agroalimentaire qu’elle défend ne voudraient pas qu’on voit : les vaches à hublot optimisées pour produire toujours plus, les moissonneuses à poulets, le broyage des poussins et des canetons pour la production d’œufs ou de foie gras, les truies enfermées entre des barreaux, les poules et les lapins élevés en cage… Des pratiques dénoncées par des lanceurs d’alerte, employés d’abattoir, ouvriers agricoles ou salariés de l’agroalimentaire, qui ne supportent plus l’omerta et qui souhaitent témoigner face à l’opacité totale des filières.
Parler d’intrusions sans rappeler cette intention est malhonnête : il s’agit de pure propagande. C’est une tactique pour préparer une répression contre les personnes qui s’engagent pour les animaux. Car ce qui dérange les lobbies, ce sont évidemment les vidéos qui montrent l’élevage et l’abattage des animaux ainsi que les questions éthiques qu’elles soulèvent, et non la façon dont elles ont été obtenues.
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Des arguments fallacieux et des chiffres instrumentalisés

Pour justifier la démesure des moyens accordés à cette cellule pour criminaliser les lanceurs d’alerte, le gouvernement agite l’épouvantail d’un mouvement antispéciste violent et dangereux, qui sèmerait la terreur chez les agriculteurs français. Christophe Castaner l’a d’ailleurs rappelé le vendredi 13 décembre : il souhaite que « l’antispécisme soit un des axes prioritaires du renseignement ».

Dans le dossier de presse du ministère de l’Intérieur, ces accusations sans fondement sont noyées dans un flot d’« atteintes au monde agricole » en tout genre, parmi lesquelles des vols de tracteurs, des cambriolages, des dégradations de matériel agricole, des vols de carburant, et même un trafic de GPS agricoles en Lituanie. Aucun chiffre n’est avancé sur des infractions dont les auteurs se réclameraient du mouvement antispéciste. Seuls faits évoqués : une action dans l’Eure, dont les conséquences sur les animaux sont contestées par l’association impliquée, et un incendie dans un abattoir de l’Ain, pour lequel une enquête est encore en cours et dont le lien avec des antispécistes paraît peu vraisemblable (pour rappel, des animaux vivants étaient à l’intérieur de l’abattoir).

De son côté, la FNSEA avance un chiffre de 41 « intrusions » dans des élevages sur l’année 2019. Soit 0,28 % des 14 498 faits enregistrés par la police dans les exploitations agricoles en 2019 : le ministre axe donc sciemment son discours et le « travail » des forces de l’ordre sur une poignée de faits non confirmés.

→ Lire le dossier de presse du Ministère de l’Intérieur sur la cellule « Demeter »

Le mythe de l’« agribashing » ou le refus de remettre en question notre modèle agricole

Cette opération de communication s’inscrit dans la continuité des gesticulations sur un prétendu « agribashing », systématiquement brandi par les représentants des syndicats agricoles majoritaires dès lors que notre modèle agricole est questionné. Critique de l’élevage intensif, appel à réduire notre consommation de viande, interrogations sur le glyphosate : tout est prétexte à une levée de boucliers des lobbies, qui bloquent continuellement toute avancée sociétale.

Ce sentiment d’« agribashing », élément de langage propagé par la FNSEA, est loin d’être partagé par l’ensemble du monde agricole. Dans une interview donnée fin novembre, Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, estimait qu’« il est nécessaire d’arrêter de se cacher derrière l’« agribashing » et (…) [de] s’interroger sur les pratiques du monde agricole, qui fonctionne sur le modèle du produire plus et exporter plus. »

Dans la même logique, certains éleveurs revendiquent leur lutte commune avec les associations de défense des animaux pour sortir de l’élevage intensif, à l’image de Pierre-Étienne Rault qui, après avoir signé l’Appel contre l’élevage intensif, publiait en novembre une tribune intitulée « Paysans et défenseurs des animaux doivent s’unir contre l’industrialisation du vivant ».

L’objectif de la cellule « Demeter » est clair : empêcher les lanceurs d’alerte de montrer la réalité de notre système agricole, majoritairement intensif et hyperproductiviste, en dépit de ses conséquences désastreuses pour les animaux, les paysans eux-mêmes et l’environnement, et malgré les 88 % de Français opposés à l’élevage intensif.

Le gouvernement, marionnette de la FNSEA

Il ne fait aucun doute que la mise en place de ce dispositif est une tentative pour intimider le mouvement de défense des animaux, qui inquiète plus que jamais les filières de l’élevage intensif, défendues par les syndicats FNSEA et Jeunes Agriculteurs (JA). Ces syndicats défendent notamment des projets industriels comme l’élevage des 1 000 vaches en Picardie et des installations de porcheries ou poulaillers industriels un peu partout en France.

La volonté du gouvernement de censurer ce débat de société est effarante. Un traitement démocratique du débat sur l’élevage impliquerait de jouer cartes sur table : expliquer en quoi les images dévoilées par les associations sont ou non représentatives des pratiques actuelles, contredire les arguments, apporter des éléments scientifiques, éthiques. Mais les faits sont têtus et impossibles à contredire.

Plutôt que de répondre par des faits et des arguments, la FNSEA a choisi de pousser le gouvernement à priver les citoyens d’information. Elle aurait tort de s’en priver, puisque c’est elle qui co-gère l’agriculture en France depuis des décennies. Une agriculture intensive rendue tributaire de l’argent public, avec des éleveurs endettés et un taux record de suicide, tout cela avec l’appui total des gouvernements successifs.

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