Le 27/06/2019
Le gouvernement défend les expérimentations zootechniques
Une position intenable
Suite à la diffusion des images de L214, jeudi 20 juin 2019, montrant notamment des vaches à hublot et des poulets difformes dans un centre privé d’expérimentation zootechnique de la Sarthe, le gouvernement s’est attaché à minimiser la gravité de la situation en arguant que ces expérimentations étaient utiles et ne généraient pas de souffrance chez les animaux. Une communication malhonnête destinée à faire oublier l’essentiel : la poursuite coûte que coûte des expérimentations zootechniques pour optimiser la productivité des animaux d’élevage.
Les voix citoyennes et politiques ont pourtant été nombreuses à s’élever pour exiger la fin de ces expérimentations. Ainsi, 14 questions parlementaires ont été déposées pour demander au gouvernement ce qu’il entend faire en ce sens. Une trentaine de responsables politiques se sont exprimés publiquement et la pétition a atteint plus de 340 000 signatures en quelques jours. M. Damien Pichereau, député de la circonscription où se trouve le centre expérimental dans la Sarthe, a demandé la mise en place d’une « mission d’information relative aux conditions d’expérimentation sur les animaux d’élevage ».
« En défendant la poursuite de pratiques visant à augmenter les performances des animaux d’élevage, le gouvernement se pose en porte-parole des filières de l’élevage intensif, au détriment de la santé et du bien-être des animaux et des attentes des citoyens, pourtant nombreux à réclamer une interdiction de ces expérimentations. Cette enquête montre une nouvelle fois comment le gouvernement entend verrouiller toute initiative visant à réduire la souffrance des animaux » estime Brigitte Gothière, cofondatrice de L214.
Esquiver le débat
Suite à la publication des images de L214, le gouvernement et certains députés ont pris le parti de présenter les expérimentations zootechniques sous l’angle de la recherche scientifique pour mieux en cacher leur objet principal : l’optimisation des rations et l’efficacité alimentaire au service de l’augmentation de la productivité des animaux d’élevage.
Des éléments de langage
C’est M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture, qui ouvre le bal (BFMTV, 20/06/2019). Tout en se disant conscient que les Français « puissent être choqués» et qu’il s’agit « d’une vraie réflexion » à avoir, il adopte un discours visant à rassurer l’opinion publique et décrit un procédé « qui date depuis des années », existant « dans tous les pays du monde », « scientifiquement important pour la recherche » visant à « baisser les antibiotiques » et « limiter les émissions de méthane et de gaz à effet de serre ». Des éléments de langage repris en chœur le lendemain matin par un autre membre du gouvernement, Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre de l’écologie (Public Sénat, 21/06/2019), qui reconnaît avoir d’abord « été très choquée et retournée » et s’être « immédiatement renseignée pour en savoir plus ». Elle affirme qu’il s’agit de pratiques « utiles », « à des fins scientifiques pour pouvoir développer des antibiotiques, des médicaments » (ce qui est faux) et qui « ne font pas souffrir l’animal »… Mais « en même temps » qu’elle souhaite que les pratiques soient mieux encadrées et espère qu’on puisse évoluer vers d’autres pratiques. Si c’est utile et que les vaches ne souffrent pas, pourquoi vouloir changer alors ? N’y a-t-il pas des contradictions flagrantes dans le discours de Mme Brune Poirson ?
Quelques députés sont venus en renfort du gouvernement : M. Jean-Baptiste Moreau, député de la Creuse, rapporteur de la loi EGalim et ancien président d’abattoir et M. Frédéric Descrozaille, député du Val-de-Marne, ancien directeur d’un syndicat agricole. Un autre député, M. Joachim Son-Forget, s’est particulièrement distingué par un tweet injurieux.
Une pratique inutile et illégale
Les déclarations des ministres ne s’attardent pas sur la principale préoccupation de l’entreprise Sanders, filiale du groupe agroalimentaire Avril : les recherches ne sont pas menées dans l’intérêt général mais pour optimiser les performances des animaux d’élevage par le biais de leur alimentation. Car Sanders est bel et bien une entreprise privée, qui a pour mission de formuler et de tester des aliments pour animaux d’élevage et de les commercialiser, des aliments qui promettent des performances de production toujours plus grandes. Enfin, l’article L214-3 du Code rural limite les expériences biologiques, médicales et scientifiques aux cas de stricte nécessité, rendant même cette pratique illégale. L214 a porté plainte contre ce centre pour expérimentations illicites et pour sévices graves sur les animaux auprès du procureur de la République du Mans. Une inspection administrative a été lancée par la préfecture de la Sarthe.
Des animaux machines
Un autre argument a également été répété en boucle : « l’absence de souffrance » des vaches à hublot. La pose du hublot amène inévitablement des douleurs postopératoires qui nécessiteraient la prise d’un traitement antidouleur pendant plusieurs semaines. Il s’en suit a minima une gêne permanente du fait de l’existence d’un objet dans le corps de l’animal et l’accès permanent à l’intérieur de l’estomac par le bras des opérateurs. D’ailleurs, les vaches, prostrées au moment de l’ouverture des hublots, sont bloquées dans leur logette pour éviter les comportements de fuite.
Les images montrent aussi des poulets boiteux, au corps rendu difforme par une alimentation n’ayant d’autre but que de faire croître leurs muscles le plus rapidement possible, des veaux isolés seuls dans des box aux parois opaques, des lapins en cages… Ne doit-on pas également poser la question de la souffrance les concernant ?
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Le procédé utilisé par le gouvernement est au mieux maladroit, au pire malhonnête et représentatif de l’influence exercée par les filières de l’élevage intensif pour détourner le regard des citoyens sur le principal enseignement de ces images : les animaux sont utilisés comme des machines dont on peut optimiser la productivité sans états d’âme.
Des conflits d’intérêts ?
Jean-Baptiste Coulon, président du centre INRA Auvergne-Rhône-Alpes, défend ces expérimentations en soulignant leur rôle « pour comprendre ce fonctionnement et répondre à un certain nombre de questions liées à l’environnement, l’alimentation et la qualité des produits » et assure que les « animaux sont en état de bien-être normal. On le vérifie, sinon éthiquement on ne le ferait pas et en plus nos expériences n’auraient pas de valeur scientifique » (AFP, 21/06/2019). Ce soutien flagrant montre une fois encore combien la recherche publique de l’INRA est subordonnée aux intérêts privés des filières. Nous avons déjà dénoncé, preuves à l’appui, les biais de la recherche publique : certaines recherches vont jusqu’à conclure que « les poules préfèrent les cages » et « les canards ne souffrent pas du gavage ». En cela, la communication gouvernementale s’inscrit donc dans une longue tradition de conflits d’intérêts entre l’État et les filières de l’élevage intensif.
Une mobilisation politique et citoyenne
Pendant que certains membres du gouvernement font de la désinformation, d’autres responsables politiques, au contraire, choisissent de prendre le sujet à bras-le-corps en se positionnant publiquement sur le sujet.
Des prises de position publiques
La dizaine de questions parlementaires demandant au gouvernement de faire connaître les dispositions qu’il entend prendre pour interdire les recherches destinées à optimiser la productivité des animaux d’élevage, ainsi que les réactions sur les réseaux sociaux, ont été nombreuses. L’indignation a été forte tant au Sénat (Mme Esther Benbassa, M. Yves Daudigny et Mme Évelyne Perrot) qu’à l’Assemblée nationale, où des députés de tous bords se sont exprimés : au sein de la majorité (M. Mounir Belhamiti, suppléant du ministre de l’écologie, M. Hugues Renson, vice-président de l’Assemblée nationale, M. Loïc Dombreval, président du groupe d’études condition animale, Mme Claire O’Petit, vice-présidente du groupe d’études condition animale, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Jacques Marilossian, M. Damien Pichereau et Mme Corinne Vignon), mais également parmi les députés de l’opposition, Les Républicains (M. Éric Diard et M. Julien Aubert), La France Insoumise (M. Jean-Luc Mélenchon, président du groupe, M. Ugo Bernalicis, M. Bastien Lachaud, M. François Ruffin, M. Adrien Quatennens et M. Éric Coquerel), UDI, Agir et Indépendants (M. Pierre-Yves Bournazel et M. Vincent Ledoux) ou les députés non-inscrits (M. Gilbert Collard, M. Nicolas Dupont-Aignan et M. Matthieu Orphelin). M. Yannick Jadot, député européen, a appelé à sortir « de l’élevage industriel qui transforme les animaux en machines ». Les élus locaux se sont également exprimés, à Paris comme ailleurs (M. David Belliard et Mme Danielle Simonnet, conseillers de Paris ou M. Hervé Menchon à Marseille). Le Parti animaliste pour sa part « demande que ces atrocités soient enfin interdites ».
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Vers une mission d’information ?
M. Damien Pichereau, député de la circonscription où se trouve le centre expérimental dans la Sarthe, a demandé la mise en place d’une « mission d’information relative aux conditions d’expérimentation sur les animaux d’élevage » qui aurait « pour objet de faire le point sur ces techniques, mais aussi d’étudier les alternatives possibles ».
→ Communiqué de presse (Damien Pichereau, 20/06/2019)
Cette initiative a reçu le soutien de M. Loïc Dombreval, député des Alpes-Maritimes, président du groupe d’étude condition animale à l’Assemblée nationale : « J’approuve la demande de mission d’information de mon collègue Damien Pichereau. Ces techniques respectent-elles la réglementation ? Si oui, changeons-là ! Existe-t-il des méthodes alternatives ? Si oui, accélérons leur mise en œuvre ! » (Twitter, 20/06/2019).
Une attente citoyenne
La pétition demandant au gouvernement de faire interdire « immédiatement les expérimentations zootechniques visant à augmenter la productivité des animaux » a été signée par plus de 340 000 personnes en moins d’une semaine. Les citoyens attendent donc de la part du gouvernement des avancées rapides et concrètes en la matière.