Le 19/06/2019
Enquête dans un centre expérimental zootechnique
Images commentées par Nagui
Vaches à hublot, poulets difformes, cochons, veaux, lapins malades et enfermés dans des cages minuscules : les images de la nouvelle enquête de L214 décrites par Nagui dévoilent l’intérieur du 1er centre privé européen de recherches en nutrition animale et conduite d’élevage. Des expérimentations y sont menées afin d’élaborer et tester les aliments pour animaux de la marque Sanders, leader français de la nutrition animale et filiale du groupe Avril. Ces aliments sont conçus dans le but d’optimiser la productivité des animaux d’élevage (viande, lait, œufs).
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Ces images ont été tournées entre février et mai 2019 dans la station expérimentale de Sourches appartenant au groupe agro-industriel Avril, située sur la commune de Saint-Symphorien, dans la Sarthe (72240).
Les images de cette enquête montrent des vaches fistulées – leur estomac est perforé d’un trou de 15 cm de diamètre – pour étudier leur digestion. Elles sont contraintes de vivre enfermées dans un bâtiment au sol bétonné, sans paille, à même leurs propres déjections. Dans un autre bâtiment, des poulets ne tiennent plus sur leurs pattes du fait de la croissance toujours plus rapide de leurs muscles. Les cochons, les lapins et les poussins sont détenus dans des cages vides de tout aménagement tandis que de jeunes veaux sont enfermés dans des cases individuelles aux parois opaques.
Dans ce centre du groupe Avril, les conditions de vie des animaux sont déplorables. Pire, ces recherches, destinées à booster toujours plus la productivité des animaux via leur alimentation, ont aussi des conséquences sur l’ensemble des animaux d’élevage qui se verront appliquer le même régime alimentaire à l’origine de nombreux problèmes de santé : boiteries, déficiences pulmonaires ou cardiaques, troubles digestifs ou encore inflammations de la peau, épuisement de l’organisme.
La zootechnie telle que menée depuis le XIXe siècle a conduit à transformer physiquement les animaux. Ils sont devenus plus grands, plus lourds, plus productifs. Au cours du XXe siècle, cette transformation s’est encore intensifiée. Les poules pondent aujourd’hui près de 300 œufs par an contre tout au plus une vingtaine lorsqu’elles vivaient à l’état sauvage. Les vaches produisent plus de 6 700 litres de lait par an, soit 2 fois plus qu’en 1970, 4 fois plus qu’en 1945. La production des vaches Prim’Holstein atteint 5 fois les besoins d’un veau. Les poulets grossissent 4 fois plus vite : ils atteignent 1,5 kg en moins de 30 jours, alors qu’il en fallait 120 dans les années 1950. Les truies donnent naissance à 29 petits par an contre 16 en 1970, et leurs petits grossissent chaque jour de 200 g de plus qu’en 1970 : ils mettent aujourd’hui 165 jours pour atteindre le poids de 100 kg, alors qu’il en fallait encore 180 en 1990.
Dans le centre de Sourches, dont les images sont édifiantes, mais aussi au sein d’organismes publics comme l’INRA (Institut national de la recherche agronomique), l’IDELE (Institut de l’élevage), l’ITAVI (Institut des productions avicoles, cunicoles et piscicoles) ou l’IFIP (Institut du porc), les expériences sur les animaux se poursuivent comme s’ils n’étaient que des machines dont on peut augmenter la puissance à l’envi et des produits dont il faudrait optimiser la rentabilité. D’après la réglementation, les expérimentations sur les animaux ne peuvent être menées que s’il y a « stricte nécessité » : L214 porte plainte contre ce centre pour expérimentations illégales et pour sévices graves sur les animaux auprès du procureur de la République du Mans.
Nagui, choqué par ces images, appelle les citoyens à se mobiliser : « Pour Sanders et pour l’élevage intensif, qui est largement majoritaire en France, aujourd’hui les animaux ne sont que des machines à produire, une simple matière première à notre disposition… Il faut mettre un terme à cette course à la performance qui se fait au détriment de la santé des animaux et de notre santé. Exigeons l’arrêt de ces expériences. »
L214 interpelle le gouvernement sur ces pratiques et adresse une pétition aux ministres de la Recherche et de l’Agriculture pour demander la fin de ce type de recherches, qu’elles soient privées ou publiques.
« Aujourd’hui, de la sélection génétique à l’alimentation, tout est optimisé pour que les animaux produisent plus d’œufs, de lait ou de viande. Nombre d’entre eux souffrent déjà de boiteries, d’infections, de problèmes pulmonaires ou cardiaques. Et pourtant, au lieu de stopper ce cycle infernal, on pousse toujours plus loin. Il est grand temps de remettre ce système inique en question » déclare Brigitte Gothière, cofondatrice de l’association L214.
Des vaches fistulées
À Sourches, des expérimentations sont menées sur des vaches fistulées dites « vaches à hublot », c’est-à-dire des vaches dont le flanc a été percé d’un trou pour y installer un hublot de 15 à 20 cm, afin d’avoir un accès direct à leur rumen, le plus gros des 4 compartiments de leur estomac.
Ces vaches vivent sur un sol en béton sans paille, dans l’humidité. Le sol mouillé est glissant, leur pelage fréquemment souillé de leurs déjections.
La pose même du hublot est une opération invasive qui génère des douleurs postopératoires et une prise d’antibiotiques. Chaque jour, des opérateurs ouvrent et ferment ces hublots pour y faire des prélèvements. Parfois, le contenu de l’estomac des vaches déborde des hublots.
À Sourches, lorsque le bâtiment des vaches fistulées est visité par de jeunes étudiants en agriculture, on désigne ces vaches comme des « rumens sur pattes ». On loue la technicité de leur alimentation, les gains de productivité permis par la fistulation. Les conséquences négatives pour les animaux, elles, ne sont jamais mentionnées.
Les vaches produisent plus de 6 700 litres de lait par an, soit 2 fois plus qu’en 1970, 4 fois plus qu’en 1945. Pour une vache Prim’Holstein (80 % de la collecte de lait au niveau national), la production s’établit à 9 000 L de lait par lactation (305 jours), soit environ 27 L de lait par jour, 5 fois les besoins d’un veau. Certains experts prévoient qu’on pourra atteindre 25 000 kg de lait par vache en 2050, soit une production par vache quasiment multipliée par 3 par rapport à 2017 ! Cette productivité boostée n’est pas sans conséquences sur la santé des vaches.
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État de santé dégradé
Sélectionnés et alimentés pour produire rapidement de la chair et du lait, nombreux sont les animaux à souffrir de boiteries, déformations osseuses ou autres troubles de la locomotion. Cela est particulièrement problématique chez les poulets de chair, les truies reproductrices et les vaches laitières.
Les animaux dont la productivité est poussée peuvent également souffrir d’insuffisances cardiaques et respiratoires, de troubles digestifs ou encore d’inflammations de la peau (notamment au niveau des mamelles pour les femelles laitières, ou des pattes pour les oiseaux). Aussi, chez les animaux utilisés pour leur chair, pour lesquels la sélection génétique a conféré aux nouveau-nés un poids élevé à la naissance, les difficultés d’accouchement sont fréquentes, en particulier chez les bovins.
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Sanders, Avril, agro-industrie tentaculaire
L’élevage expérimental de Sourches appartient à l’entreprise Sanders, qui elle-même appartient au groupe agro-industriel Avril (ex-Sofiprotéol).
Le groupe agro-industriel Avril est un acteur majeur de l’exploitation animale en France, qui comprend de multiples activités. Il produit à lui seul 1 œuf sur 4 consommé en France (n° 1 de la production d’œufs en France), 1 cochon sur 8 et 1 lapin sur 4 qui finissent dans les assiettes des Français.
L’entreprise Sanders, filiale du groupe Avril, est le leader français de la nutrition animale (fabrication d’aliments pour les animaux d’élevage). Elle produit 3 millions de tonnes d’aliments chaque année pour fournir 26 000 élevages. Avec 15 nouveaux brevets chaque année, ses innovations en nutrition animale ont pour but premier d’améliorer la performance économique des élevages.
L’élevage expérimental de Sourches dans lequel nous avons mené l’enquête est le plus grand centre d’expérimentation zootechnique privé en Europe. « Vitrine de l’élevage français », il se targue de respecter le « bien-être animal ».
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Une recherche sur les émissions de gaz à effet de serre ?
Sanders explique que les expérimentations menées sur les vaches laitières concernent l’efficacité alimentaire de la ration, la formulation de nouveaux aliments et leurs effets sur la qualité du lait, mais aussi la réduction des gaz à effet de serre, ainsi que la santé des animaux en vue d’une démédication. Pourtant, lors de la visite de l’élevage de vaches fistulées par de jeunes étudiants en agriculture dont nous avons pu obtenir les images, seule l’optimisation de l’efficacité alimentaire de la ration est mentionnée lors des nombreuses explications. Ni l’environnement ni la démédication n’ont été ne serait-ce qu’évoqués.
Il est cocasse de constater que les filières de productions animales tentent aujourd’hui de légitimer la fistulation des vaches en vertu de la lutte contre les gaz à effet de serre, alors que ce sont justement les expérimentations réalisées avec des vaches fistulées qui ont conduit à augmenter la quantité de méthane émis par les vaches : en modifiant leur régime alimentaire pour leur faire produire plus de lait (en leur faisant manger des céréales, en particulier du maïs, plutôt que de l’herbe), les vaches émettent jusqu’à un tiers de méthane en plus.
Par ailleurs, le 5e rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) affirme que limiter la consommation moyenne de viande de ruminants à 10 g par jour et la consommation des autres viandes, du poisson et des œufs à 80 g par jour permettrait de réduire de 36 % les émissions de GES d’origine agricole, et de plus de 8,5 % les émissions totales de GES, rappelant ainsi le rôle prédominant de l’élevage dans les émissions de gaz à effet de serre.
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Une recherche hors la loi
Les expérimentations menées dans le centre de Sourches sont en infraction avec la réglementation relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques. En effet, les procédures expérimentales doivent avoir un caractère de « stricte nécessité » pour être autorisées. Est-ce qu’obtenir des animaux plus productifs relève réellement de la stricte nécessité à l’heure où les politiques devraient au contraire nous amener à réduire globalement la consommation de produits d’origine animale, que ce soit pour des raisons éthiques, de santé publique ou d’environnement ?
L214 porte plainte contre ce centre d’expérimentation, interpelle le gouvernement sur ces pratiques et l’invite à interdire ces recherches, qu’elles soient privées ou publiques.
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