Le 19/02/2019
Le directeur, 3 salariés et un agent des services vétérinaires sur le banc des prévenus
Jeudi 21 février, à 9 h, se tiendra au tribunal de police de Versailles le procès de l’abattoir de Houdan (Yvelines), dont L214 avait révélé des images en février 2017. Le procès, initialement prévu en janvier, avait été reporté à la demande de la défense.
Les faits qui seront jugés jeudi se sont déroulés fin novembre et début décembre 2016 dans l’enclos d’amenée des cochons, avant leur asphyxie dans le puits de CO2. Le couloir d’amenée et la rampe menant au dispositif de gazage sont si mal conçus que certains animaux se retrouvent coincés, tétanisés de peur. Des employés s’acharnent alors sur des cochons pour les faire avancer à coups de pieds, de chocs électriques et de « mouvette », parfois jusqu’à les sonner.
Sur la base des images et de la plainte déposée par L214, plus de 60 infractions ont été retenues par le procureur de la République pour engager des poursuites.
Contre le directeur de l’abattoir pour :
- installations non conformes (cochons en surnombre dans les stabulations, difficulté d’abreuvement, rampe d’amenée vers le dispositif de gazage inadaptée, porte antiretour défaillante) ;
- personnel non qualifié (mauvaises pratiques des employés) ;
- pratiques insalubres (cochons saignés à même le sol).
Contre trois de ses salariés, dont un responsable protection animale (RPA) et un agent des services vétérinaires, pour mauvais traitements (usage systématique et abusif de l’aiguillon électrique, coups de pied et de « mouvette » utilisée sur la tranche).
Pour Brigitte Gothière, porte-parole de l’association : « Ces images ont été captées et diffusées pour rendre visible un système violent qui met à mort plus de 3 millions d’animaux chaque jour en France. Elles ont aussi montré que la réglementation dans les abattoirs ne sert qu’à rassurer les consommateurs : elle n’est même pas appliquée par ceux qui sont censés la faire respecter, aggravant encore les souffrances endurées par les animaux. Ce procès doit sanctionner les infractions, montrer que les abattoirs ne sont pas une zone de non-droit. En marge de ce procès, nous devons interroger notre responsabilité collective, notre légitimité à continuer de tuer des animaux. »
Vidéosurveillance et contrôles
Sur le papier, cet abattoir avait mis en place les outils de contrôle : services vétérinaires et responsable protection animale (RPA) étaient garants du respect de la loi. Un dispositif de contrôle vidéo, dont les images étaient visibles dans le bureau du directeur, avait même été installé.
Dans les faits, parmi les prévenus figurent un agent des services vétérinaires et un RPA. Quant au directeur, malgré les écrans de contrôle installés dans son bureau, il nie avoir eu connaissance des dysfonctionnements et des pratiques violentes des employés lorsqu’il découvre, en février 2017, les images montrées par une équipe d’Envoyé spécial.
Des dysfonctionnements déjà signalés
Comme pour l’abattoir de Limoges (novembre 2016) ou du Boischaut (novembre 2018), l’enquête à l’abattoir de Houdan a été réalisée par L214 après la publication du rapport de l’audit national des services vétérinaires d’avril 2016. Ce rapport signalait déjà les mêmes dysfonctionnements que ceux révélés par nos images filmées. Pourtant, rien n’a été fait pour y pallier.
Les inspections ordonnées par Stéphane Le Foll en avril 2016, qui montraient que 80 % des chaînes d’abattage présentaient des non-conformités, n’ont visiblement pas suffi à provoquer des changements dans les abattoirs.
Une première : un agent des services vétérinaires parmi les prévenus
Dans cette affaire, un agent des services vétérinaires rattaché à l’abattoir est directement mis en cause : sur les vidéos, on le voit utiliser – de surcroît abusivement – l’aiguillon électrique pour faire avancer des cochons, alors qu’une de ses missions est précisément de veiller à ce que le personnel de l’abattoir n’en fasse pas un usage systématique et abusif. C’est la première fois qu’un agent des services de l’État est mis en cause dans un procès d’abattoir, malgré des carences avérées dans de nombreux dossiers. Il sera entendu par le tribunal pour mauvais traitements.
Obstruction des services vétérinaires
Dans le dossier pénal, les avocates de L214 ont noté que le directeur des services vétérinaires du département a refusé d’aider l’officier de police judiciaire à progresser dans son enquête.
Une démonstration supplémentaire du positionnement des services de l’État, dont la responsabilité ne sera malheureusement pas engagée devant cette juridiction puisqu’elle relèverait d’un tribunal administratif.
Procès et classements sans suite
Aujourd’hui, ces procès ont lieu grâce aux vidéos diffusées par L214. Sans elles, ces infractions à la réglementation, qui entraînent des souffrances accrues pour les animaux, ne seraient pas connues, jamais jugées.
Les abattoirs du Vigan et de Mauléon-Licharre ont été jugés.
D’autres plaintes ont été classées sans suite alors même que les infractions ont été reconnues : Limoges, Pézenas, le Mercantour. Pour le Mercantour, le substitut du procureur nous précise que « la procédure a été classée sans suite au motif de la régularisation d’office par l’abattoir »… Une régularisation qui n’est toujours pas terminée, et qui a été provoquée uniquement par nos images.
Si la justice reste aussi clémente face aux souffrances endurées par les animaux, les abattoirs resteront sans doute des zones de non-droit…
Lanceurs d’alerte condamnés
Rappelons que les deux lanceurs d’alerte qui s’étaient introduits dans l’abattoir de Houdan pour y récupérer des caméras ont eux déjà été condamnés en octobre 2017 à 6 000 euros d’amende, dont 5 000 euros avec sursis pour violation de domicile.
Une question de système, pas de personnes
Les enquêtes dans les abattoirs ont dévoilé les pratiques routinières d’abattoirs de toutes tailles, et mettant à mort différentes espèces d’animaux : chevaux, vaches, veaux, cochons, moutons, poulets, chevreaux, agneaux, etc. À chaque diffusion, les réactions ont été extrêmement vives. Les vidéos d’enquête rendent concret le meurtre alimentaire qu’on évite habituellement de regarder en face.
Il est tentant de penser que ces abattoirs ne sont que des cas particuliers et que la souffrance qu’y éprouvent les animaux ne serait due qu’à des « bavures ». La question de la conformité à la réglementation (que les citoyens ignorent le plus souvent) n’est pas le cœur du problème. C’est la question même de tuer les animaux et la violence qui en découle qui est choquante.
Une question de société dont il est grand temps de se saisir.