Procès de l’abattoir de Mauléon : un jugement non dissuasif

Le 29/10/2018

Condamnation de l’abattoir de Mauléon et de son ancien directeur

Le tribunal de Pau a rendu aujourd’hui sa décision concernant les faits qui ont été filmés à l’abattoir de Mauléon-Licharre (Pyrénées-Atlantiques) en mars 2016. Suivant les réquisitions du procureur de la République, les juges ont mis l’accent sur la responsabilité majeure de l’abattoir et de son ancien directeur, condamnés respectivement à une amende de 10 000 € et à 6 mois de prison avec sursis pour le délit de tromperie sur la qualité des produits. Les employés ont quant à eux été condamnés à des amendes allant de 80 € à 520 €.

Les images dévoilées par L214 montraient de nombreuses infractions à la réglementation et des scènes de souffrances sévères : utilisation abusive de l’aiguillon électrique, coups de pieds sur les animaux, agneaux assommés à coups de crochet, saignées tardives, reprises de conscience sur la chaîne, animaux découpés encore vivants…

→ Voir la vidéo d’enquête

Pourtant, le seul délit – et la plus lourde peine – retenu par les juges dans le cadre de ce procès est la « tromperie sur la qualité des produits » (pour le non-respect du cahier des charges Label Rouge). Toutes les autres infractions ayant eu un impact direct sur les animaux ne constituent que de simples contraventions – soit rien de plus qu’un petit excès de vitesse. Cela reflète une triste réalité : aujourd’hui, si notre législation reconnaît théoriquement la sensibilité des animaux, concrètement, elle ne la prend pas au sérieux.

Dans d’autres affaires, la justice fait même preuve d’inertie. Récemment, les plaintes déposées contre les abattoirs de Limoges, du Mercantour et de Pézenas (ayant tous trois fait l’objet d’enquêtes) ont ainsi été classées sans suite.

Pour Brigitte Gothière, cofondatrice et porte-parole de l’association : « Les vidéos tournées clandestinement en abattoirs sont pour l’instant le seul moyen de rendre visible la violence d’un système qui met à mort 3 millions d’animaux chaque jour en France. Sans elles, nous n’aurions jamais pu réaliser ce qu’il s’y passait et ce procès n’aurait jamais eu lieu. Pour autant, si la justice reste aussi clémente face aux souffrances endurées par les animaux, les abattoirs resteront sans doute des zones de non-droit. »

Contact presse

Mauléon-Licharre : rappel des faits

Après Alès et Le Vigan, ce sont des images de l’abattoir de Mauléon-Licharre, dans les Pyrénées-Atlantiques, que dévoilait l’association L214 en mars 2016. Sur cette période, près de 11 000 agneaux étaient abattus pour les fêtes de Pâques. Dans cet abattoir, pourtant certifié bio, Label Rouge et IGP, on pouvait observer de nombreuses infractions aux règles de protection animale ainsi que des actes de maltraitance : animaux frappés au crochet, étourdis à plusieurs reprises, saignés tardivement ou égorgés en pleine conscience…

Sans vidéo, pas de procès

Ce procès a lieu grâce aux preuves que constituent les vidéos révélées par L214. L’enquête préliminaire, sous la conduite du Procureur de la République et menée par les services de gendarmerie, a dénombré 195 infractions, parmi lesquelles :
– des mauvais traitements (animaux tirés par les oreilles ou par la toison, usage de l’aiguillon électrique, coups de pied, coups de crochet sur la tête pour assommer, agneau lancé, agneau écartelé) ;
– des pratiques qui accentuent la souffrance des animaux au moment de leur mise à mort (étourdissements ratés, saignées tardives, absence de vérification de l’inconscience avant la saignée, animaux saignés conscients) ;
– des structures défaillantes (piège des bovins inadapté pour les veaux, matériel d’étourdissement défaillant) ;
– tromperie du consommateur (utilisation de l’aiguillon électrique sur les animaux, proscrite dans les cahiers des charges des labels mis en avant par l’abattoir).

En 2016, à la suite des vidéos diffusées par L214 concernant les abattoirs d’Alès, Le Vigan et Mauléon, le Ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll avait ordonné un audit dans tous les abattoirs français. Les résultats étaient sans appel : 80% de chaînes d’abattage présentent des non-conformités. Ces visites avaient entraîné l’arrêt de plusieurs chaînes d’abattage. Aucun procès ne viendra toutefois sanctionner ces infractions et les souffrances qu’elles ont générées pour les animaux.

Les seuls procès qui ont lieu s’appuient sur des vidéos diffusées par L214. Le contrôle vidéo, déjà porté par le député Olivier Falorni, permettrait que des abattoirs puissent être mis face à leurs responsabilités. 85% des Français sont favorables à cette mesure. Emmanuel Macron s’était d’ailleurs engagé à la rendre obligatoire lors de la campagne présidentielle. Pourtant, c’est un amendement « poudre aux yeux » qui a été voté par les parlementaires sous l’impulsion du gouvernement en mai 2018 : le contrôle vidéo pourra être mis en place dans les abattoirs à titre expérimental et sur la base du volontariat…

Standard, bio, Label Rouge, IGP : mêmes conditions de mise à mort

La viande des agneaux de lait des Pyrénées Axuria abattus à l’abattoir de Mauléon était encensée par de grandes tables parisiennes et des chefs étoilés. Le boucher-star Yves-Marie Le Bourdonnec, réputé « carnivore responsable », proposait cette viande de novembre à avril, tandis qu’Alain Ducasse a célébré cette filière en 2015, mettant la viande de ces agneaux à la carte de son restaurant le Relais Plaza.

Quels que soient les modes d’élevage, quels que soient les labels, les méthodes de mise à mort sont exactement les mêmes et génératrices de souffrances intenses pour les animaux.

Mauléon et les autres, un problème de société

On demande l’impossible aux ouvriers d’abattoir : tuer avec douceur et respect des êtres qui ne veulent pas mourir, qui résistent autant qu’ils le peuvent. Si les ouvriers doivent répondre de leurs actes, ils n’ont pas à porter la responsabilité de ce système violent. Les différentes enquêtes menées par ailleurs ont montré que la violence des abattoirs s’exerce aussi sur eux.

En marge de ce procès, ce qui doit être interrogé, c’est notre responsabilité collective en tant que société qui fait naître, exploite et tue chaque jour sans nécessité 3 millions d’êtres sensibles.

→ Voir les autres enquêtes de L214