Bruno Le Maire n’annoncera aucune aide pour le secteur porcin

Dans diverses interviews données ces dernières semaines1, Bruno Le Maire a laissé entendre qu’il annoncerait des aides au secteur porcin au SPACE qui s’ouvrira ce 14 septembre. Il ne s’agit que de bévues commises lors de réponses « à chaud ». Après étude scrupuleuse du dossier, il est apparu au gouvernement qu’il serait injustifiable d’employer l’argent public à soutenir ce secteur.

Hausse des prix de l’aliment, besoin d’aides pour adapter les installations aux normes 2013 (interdiction des stalles individuelles pour les truies), risque de disparition des exploitations les plus endettées : telles sont les raisons qui avaient conduit dans un premier temps à pencher pour un plan de secours. Il est cependant apparu à l’examen que l’aide publique contribuerait à pérenniser des élevages dont la décroissance est vivement souhaitable, et que les fonds seraient mieux employés à reconvertir les travailleurs et territoires concernés vers d’autres activités. Dans le discours prononcé au Space, Bruno Lemaire devrait énoncer les 4 raisons pour lesquelles il n’y aura pas de plan d’aide au secteur porcin.

1. On ne subventionne pas le mal-être animal

95% des élevages porcins français sont intensifs : les cochons sont enfermés leur vie durant dans des espaces réduits, et soumis à de douloureuses mutilations à vif2. L’aide publique ne favorisera pas une activité qui impose à des animaux des conditions de vie pitoyables.
La filière porcine demande des aides pour s’adapter aux normes futures3. Mais comme l’a relevé l’OAV (office vétérinaire européen), des exploitations françaises ne respectent même pas les normes déjà en vigueur4.

2. On ne subventionne pas le détournement de denrées vitales à l’alimentation humaine au profit de l’industrie de l’élevage

La tension actuelle sur le prix de l’aliment est principalement imputable à la hausse du prix du blé5 et dans une moindre mesure à celle du prix des protéagineux. Les céréales constituent les ingrédients principaux de l’alimentation des porcs en élevage intensif. Soutenir l’activité de ces élevages, c’est les aider à maintenir leur demande de céréales et ainsi contribuer au cours élevé de celles-ci. Dans un monde où un milliard d’humains souffrent de la faim, ce sont les plus démunis qui font les frais de l’envolée des cours du blé et autres denrées de base6.

3. On ne subventionne pas la dégradation de l’environnement

La Bretagne concentre plus de la moitié des élevages porcins français avec les lourdes conséquences environnementales que l’on sait (pollution des eaux par les nitrates, de l’air par l’ammoniac, prolifération des algues vertes…). Dans son rapport de février 2010, la Cour des comptes dénonçait le manque de détermination de l’Etat face aux pollutions des eaux d’origine agricole, exposant la France à de lourdes pénalités financières7. Après l’indignation soulevée par l’annonce en février dernier d’un plan de financement public du compostage et méthanisation des algues vertes, Bruno Le Maire aura à cœur d’annoncer au Space que la France va cesser de gaspiller des ressources à traiter les conséquences et va s’attacher à remédier aux causes en favorisant un modèle agricole durable en Bretagne.

4. On ne subventionne pas la production d’aliments dont la consommation excessive nuit à la santé

Le maintien du niveau actuel de production porcine n’obéit à aucune nécessité, bien au contraire. Il a été estimé que le risque de cancer colorectal est augmenté de 21% par portion de 50 g de charcuterie consommée par jour. Les viandes, lorsqu’elles ne sont pas dégraissées, et les charcuteries à forte teneur en graisse comptent parmi les aliments qui favorisent le surpoids. Alors que la France compte parmi les pays où la consommation de viande est la plus élevée, il n’est nul besoin de l’encourager.

Il n’y aura pas non plus d’aides supplémentaires au secteur bovin

Là encore, les déclarations des semaines précédentes seront démenties au Space. A taille équivalente, les entreprises produisant des bovins viande sont déjà le secteur agricole bénéficiant des plus fortes subventions d’exploitation. L’ensemble des filières d’élevage (lait, ovins, porcins et volailles) reçoivent des subventions très supérieures aux producteurs de fruits et légumes8. Dans un contexte où les dégâts de la surproduction et de la surconsommation de produits d’origine animale sont de plus en plus criants, le gouvernement ne peut que se montrer soucieux de corriger des disparités injustifiées.

Nos informations sur les nouvelles orientations annoncées au Space sont-elles fiables ?

Absolument. Elles ne proviennent pas de « fuites » sur les déclarations à venir du ministre de l’Agriculture, mais n’en sont pas moins solidement fondées sur les orientations du ministère lui-même.
Dans le Cahier thématique AAER vol. XII9 (publication du ministère de l’Agriculture) de février 2010, Catherine Bouvier notait (p. 15) que « l’idée d’un ministère de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche soucieux des consommateurs de produits alimentaires ne s’est pas encore substituée à l’image inexacte et désuète d’un ministère de l’agriculture privilégiant le seul soutien aux agriculteurs par rapport à ses autres missions ».

Nul doute que les mesures annoncées par Bruno Lemaire au Space feront voler en éclat cette image désuète et inexacte. Elles nous persuaderont plus que jamais que le soutien à certaines catégories d’agriculteurs ne passe pas avant les considérations d’intérêt général et la réforme nécessaire de notre modèle agricole et alimentaire.


Contact presse :
Sébastien Arsac – 06 17 42 96 84
Brigitte Gothière – 06 20 03 32 66


(1) Voir par exemple l’interview de Bruno Le maire dans la la matinale de France Info du 1er septembre 2010.
(2) En savoir plus sur l’élevage des cochons.
(3) De telles aides sont déjà en place :
http://www.mayenne.chambagri.fr/iso_album/resume_proc_aide_man_truie_g_juin_2010.pdf
(4) http://www.l214.com/protection-animale-france-inspectee
(5) Suite à la baisse attendue des récoltes notamment en raison de la sécheresse en Russie.
http://www.fao.org/news/story/fr/item/45006/icode/
(6) Contrairement à une idée reçue, l’agriculture européenne, malgré ses atouts climatiques et techniques ne contribue pas à l’alimentation des pays les plus pauvres. L’UE est au contraire déficitaire dans ses échanges de produits agricoles avec les pays du sud. « Autrement dit, c’est l’UE qui reçoit une aide alimentaire structurelle massive des PED ». (Jacques Berthelot, « La responsabilité historique de l’Union européenne de rebâtir les politiques agricoles sur la souveraineté alimentaire », 30 août 2010.
(7) Anne Chaon, « Pollutions agricoles : la Cour des comptes pointe le coût de l’inaction », 9 février 2010.
(8) Données 2007. Source : Ministère de l’Agriculture,
http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf_rica2009ficheb.pdf
Le secteur des grandes cultures est mieux loti que les autres cultivateurs de végétaux, mais il est étroitement lié à celui de l’élevage : la moitié des céréales françaises servent à alimenter les animaux d’élevage.
(9) http://agriculture.gouv.fr/sections/mediatheque/periodiques/aaer/cahier-thematique-aaer