Etude sur l’étourdissement et l’abattage des lapins

L’original de cet article est disponible sur internet :
http://world-rabbit-science.com/WRSA-Proceedings/Congress-2008-Verona/Papers/W-Rota.pdf

Traduction libre par Marceline Pauly

EVALUATION DU BIEN-ÊTRE DES LAPINS
PENDANT L’ÉTOURDISSEMENT ET L’ABATTAGE
DANS UN ABATTOIR COMMERCIAL

 
Rota Nodari S.1, Lavazza A.2*, Candotti P.3

 

1. ASL, Distretto Veterinario n.1 Brescia-Gardone V.T., P.le Repubblica 2, 25124 Brescia, Italy
2. National Reference Centre for Viral Diseases of Lagomorphs, IZSLER, via Bianchi 9, 25124, Brescia, Italy
3. National Reference Centre for Animal Welfare, IZSLER, via Bianchi 9, 25124, Brescia, Italy
*Corresponding author: [email protected]

ResuméUn total de 1020 lapins issus de croisement ont été examinés pour évaluer leur bien-être pendant l’étourdissement électrique et l’abattage dans un abattoir commercial. Les procédures d’étourdissement (position des électrodes et répétition des applications du courant) et de saignée (position, longueur et profondeur de l’incision) ont été contrôlées. Le système d’étourdissement a été incorrectement appliqué 110 fois (10,8%). Trois lapins, non étourdis par la procédure, étaient encore conscients à la saignée. Dix-huit lapins ont repris conscience avant de mourir, comme l’a attesté le réflexe cornéen et, dans plusieurs cas, des vocalisations (n=3) et des redressements de tête (n=1) ont été observés. A l’abattoir, le réflexe cornéen est le meilleur indicateur du rétablissement de la conscience.

Introduction

Dans le monde entier, des lapins issus du lapin européen (Oryctolagus cuniculus L.), sont élevés et abattus pour la production de viande. En Europe, cette production est très hétérogène et aucune information n’a été fournie par Eurostat. sur l’abattage des lapins dans la plupart des pays membres de l’UE. Dans le nord de l’Europe, le lapin est considéré principalement comme un animal de laboratoire ou de compagnie, tandis qu’en France, en Italie, en Espagne, au Portugal et en Hongrie, le lapin est élevé à grande échelle pour la consommation de sa viande (EFSA, 2006). Bien qu’en Italie les lapins soient encore traditionnellement élevés et tués à la ferme, 28.39 millions de lapins de 2.6 kg en moyenne, élevés dans des élevages industriels, sont abattus chaque année dans des abattoirs de lapins agréés (ISTAT, 2007).

Selon les dispositions du décret 333/1998 sur la protection des animaux lors de l’abattage (en application de la Directive 93/119/CE du Conseil du 22 décembre 1993), les méthodes d’étourdissement autorisées pour les lapins sont : le pistolet à tige perforante ou captive, la percussion, l’électronarcose et l’exposition au dioxyde de carbone. Le pistolet à tige perforante est considéré comme une bonne méthode mais seulement lorsqu’il y a peu de lapins à tuer (EFSA, 2006), tandis que l’électronarcose est la méthode d’étourdissement la plus fréquemment utilisée dans les abattoirs de lapins lorsqu’un grand nombre d’animaux doit être abattu.

Peu d’études ont porté sur l’activité physique et le comportement des lapins étourdis par électronarcose (Anil et al., 2000, Maria et al., 2001). L’enregistrement électrocochléographique (EcoG) de l’électronarcose a montré qu’une application bitemporale de 100V et de 50Hz AC pendant 1 seconde était capable d’induire chez les lapins une intense activité épileptique classique de type Grand Mal. 2 lapins ont manifesté des convulsions tonico-cloniques, c’est-à-dire les signes caractéristiques de l’épilepsie chez les autres espèces, alors que les autres semblaient simplement épuisés après l’étourdissement (Anil et al., 1998). Chez les lapins, l’étourdissement électrique peut être réalisé avec un voltage de 100 V minimum, qui devrait fournir des courants dépassant 140 mA (Anil et al., 1996). Pour les espèces à viande rouge, pour évaluer le bien-être à l’abattage, et en particulier à l’étourdissement, un système de score clinique a été mis au point par Temple Grandin dans les années 90 et est utilisé couramment et avec succès dans nombre d’abattoirs des Etats-Unis et d’Europe. Par contre, peu de recherches ont été menées sur les lapins et appliquées aux abattoirs pour évaluer sur une grande échelle le bien-être de ces animaux pendant l’étourdissement électrique et l’abattage.

Par conséquent, l’objectif de cette étude était d’effectuer une évaluation objective de l’efficacité de l’étourdissement électrique dans un abattoir commercial de lapins.

Méthodes et matériel

Animaux et schéma expérimental

1020 lapins au total ont été individuellement examinés par le même observateur afin d’évaluer l’efficacité de l’étourdissement. Les tests ont été menés pendant l’automne (octobre et novembre) dans un abattoir de lapins agréé du nord de l’Italie. L’abattoir avait une capacité de 1800 lapins/jour et un rythme de 220 lapins/heure. Les lapins étaient transportés quotidiennement à l’abattoir, dans des cages de 35 cm de hauteur avec une densité de 15 lapins/480 cm2. Tous les lapins provenaient d’élevages industriels et étaient des lapins croisés des deux sexes en fin d’engraissement, âgés de 90 jours, pesant 2.5 kg en moyenne. L’abattoir avait l’habitude de recevoir les animaux le matin à 7h30 (1er transport) ou 10h30 (2e transport). Chaque transport se composait de 1 à 3 lots différents de lapins et pouvait durer de 20 minutes à 3 heures. Les animaux dans leurs caisses étaient déchargés et entreposés à l’extérieur, à l’abri d’un toit jusqu’à l’abattage. L’abattage se divisait en deux périodes ; le matin (de 8h à midi) et l’après-midi (de 13 à 16 h). L’abatteur était le même pendant toute la durée de l’étude.

Procédures d’étourdissement et d’abattage et paramètres enregistrés

L’étourdissement était effectué manuellement avec un appareil en V dont chaque branche était munie d’une électrode. L’abatteur sortait un lapin d’une cage, et tout en gardant l’animal sur le dessus de celle-ci, positionnait les 2 branches de l’étourdisseur entre les yeux et les oreilles du lapin. L’appareil comportait un dispositif qui mesure l’impédance de la charge et empêche l’opération si le minimum de courant requis n’est pas fourni, ainsi qu’un dispositif sonore indiquant la durée de son application à l’animal, et il était raccordé à un autre dispositif indiquant le voltage et le courant sous tension. Une fois la tête du lapin en contact avec les électrodes, un courant de 117 V, d’un intensité minimale de 1.1 A pendant 1.31 s ±  0,29 s (DS) (mesuré sur un lot de 50 lapins) était utilisé. Après l’étourdissement le lapin était accroché sur un rail la tête en bas et égorgé. L’intervalle entre l’étourdissement et la saignée, mesuré sur un échantillon de 50 lapins, était de 5,55 s ± 0,88 s (DS). Chaque lapin était observé individuellement entre le moment où il était sorti de sa cage et le moment de sa mort. Les paramètres enregistrés son reportés dans le tableau 1. Pour les analyses statistiques, on a appliqué le test du χ2 aux paramètres sélectionnés.

Tableau 1 : Paramètres enregistrés

Tableau 1 : Paramètres enregistrés

Résultats et discussion

Un total de 10 lots de lapins, appartenant à 8 élevages différents, ont été observés. Les résultats de ces observations sont reportés dans le tableau 2.

Tableau 2 : Paramètres enregistrés chez 1020 lapins. Nombre d’observations entre parenthèses


Tableau 2 : Paramètres enregistrés chez 1020 lapins. Nombre d’observations entre parenthèses

Le système d’étourdissement a été positionné incorrectement 110 fois (10.8%). Dans la plupart des cas il était trop près du nez de l’animal et dans plusieurs autres (n=4) une patte antérieure du lapin s’interposait entre la branche de l’étourdisseur et la tête de l’animal.

Un lapin seulement a vocalisé pendant l’étourdissement, bien que dans ce cas, les électrodes aient été correctement positionnées. On a supposé que la fatigue et le froid auraient pu affecter négativement le travail de l’abatteur l’après-midi mais les résultats ne montraient pas de différence significative. Il n’y avait pas, en fait, de différence significative (P=0.83) entre la position des électrodes le matin (95 positions incorrectes/870) et l’après-midi (15 incorrectes/150) ni selon que la température était douce (55 incorrectes/480) ou froide (55 incorrectes/540) (P=0.54).

L’application du courant a été répétée pour 111 lapins, 97 fois dans la matinée et 14 fois dans l’après-midi. 101 applications correctes ont été observées pour seulement 10 applications incorrectes. L’abatteur décidait de recommencer l’application de courant électrique lorsqu’ il considérait que la première n’avait pas été suffisamment longue. Par conséquent, trois lapins ont reçu 4 applications, sept lapins en ont reçu 3 et cent lapins en ont reçu 2. Un seul des lapins ayant reçu 2 applications a manifesté une réaction de fuite tandis que les 110 autres n’ont montré aucun comportement anormal. Néanmoins, l’immobilité étant un comportement couramment manifesté par toutes les espèces proies en cas de danger, il est particulièrement difficile d’établir si la douleur est présente ou non (Mayer, 2007). En conséquence, nous ne pouvons pas exclure la possibilité que les lapins immobiles pendant l’étourdissement manifestaient un réflexe de conservation withdrawal*, plus difficile à interpréter qu’une réaction de lutte ou de fuite.

La saignée a été exécutée correctement durant toutes les observations mais 3 lapins ont crié et 2 d’entre eux ont eu une réaction de fuite. La position des électrodes lors de l’étourdissement était incorrecte dans ces deux cas. Parce qu’un cri long et perçant est un signe de douleur et de peur, comme lorsqu’un lapin est capturé par un prédateur (Mayer, 2007) un cri aigu pendant la saignée indique clairement un état de conscience.

Dix-huit lapins ont montré un retour des réflexes après la saignée. Un résumé des comportements enregistrés en relation avec la position des électrodes est présenté dans le tableau 3. Un test du χ2 a été appliqué pour chaque comportement, afin d’évaluer les effets de la position des électrodes sur le déclenchement du comportement. P<0.05 indique une différence significative entre la position correcte et incorrecte des électrodes et la présence ou l’absence du comportement. La position des électrodes n’a eu aucun effet significatif sur le déclenchement des comportements (Tableau 3). Tableau 3 : Comportements enregistrés après la saignée Tableau 3 : Comportements enregistrés après la saignée

Aucun cas de respiration rythmique après la saignée n’a été enregistré mais 18 lapins (1.76%) ont manifesté un réflexe cornéen et, parmi eux, 3 ont crié et 1 a dressé la tête.

Des halètements ont été observés chez 291 animaux. Ce schéma respiratoire, aussi appelé respiration agonale, s’observe juste avant la mort, à la suite de l’ischémie cérébrale (Pluta and Romaniuk, 1990). Cela pourrait être vu comme un signe positif, annonciateur de la mort. Cependant, il a aussi été observé chez 15 des 18 lapins qui ont eu un réflexe cornéen. Les électrodes ont été incorrectement positionnées sur seulement 2 des 18 lapins qui ont repris conscience. Cela ne peut toutefois pas être considéré comme la seule cause du rétablissement de la conscience. D’autres causes doivent être recherchées dans la procédure d’étourdissement. Les paramètres spécifiques des 18 lapins qui ont repris conscience avant la mort sont reportés dans le tableau 4.

En contrôlant le bien-être des lapins pendant l’abattage, il est important de reconnaître l’état d’étourdissement. Contrairement à Anil (2000), nous pensons que la cessation de la respiration rythmique ne peut pas être considérée comme le meilleur et le plus fiable indicateur de la reprise de conscience à l’abattoir. La fourrure des animaux et le fait qu’ils soient accrochés au rail, la tête en bas, rendent difficile l’évaluation de la présence d’une respiration rythmique. Dans une expérience conduite par Anil (2000), le retour d’un réflexe cornéen devançait le retour de la respiration chez 6 lapins étourdis sur 10. Par conséquent, le déclenchement du réflexe cornéen pourrait être l’outil le plus fiable et efficace.

Tableau 4 : Paramètres spécifiques des lapins qui ont repris conscience avant la mort

Tableau 4 : Paramètres spécifiques des lapins qui ont repris conscience avant la mort

Conclusion

L’abattage des lapins à l’échelle commerciale pose des problèmes cruciaux en ce qui concerne le bien-être animal. Cette étude a révélé que les électrodes pouvaient être mal positionnées sur beaucoup d’animaux, causant probablement une souffrance inutile. La reprise de conscience avant la mort, même si cela concerne peu d’animaux, indique que, dans certains cas, la durée de l’étourdissement est insuffisante. Des études supplémentaires sont nécessaires pour comprendre pourquoi l’étourdissement électrique ne provoque pas un état d’inconscience d’une durée suffisante chez certains lapins.

Références

Anil M.H., Raj A.B.M., McKinstry J.L. 1996. Electrical stunning in commercial rabbits. In: Proc. 6th World RabbitCongress, 1996 July, Toulouse, France, Vol. 2, 407-410.
Anil M.H., Raj A.B.M., McKinstry J.L. 1998. Electrical stunning in commercial rabbits: effective currents, spontaneousphysical activity and reflex behaviour. Meat Sci., 48, 21-28.
Anil M.H., Raj A.B.M., McKinstry J.L. 2000. Evaluation of electrical stunning in commercial rabbits: effect on brainfunction. Meat Sci., 54, 217-220.
Council Directive 93/119/EC of 22 December 1993 on the protection of animals at the time of slaughter or killing.
Decreto Legislativo 1 settembre 1998, n.333. Attuazione della direttiva 93/119/CE relativa alla protezione degli animalidurante la macellazione e l’abbattimento.
EFSA 2006. The welfare aspects of the main systems of stunning and killing applied to commercially farmed deer, goats,rabbits, ostriches, ducks, gees and quail. Opinion of the Scientific Panel on Animal Health and Welfare. Question EFSA Q 2005-005. Accepted on the 13th of February 2006.
Maria G., López M., Lafuente R., Mocé M.L. 2001. Evaluation of electrical stunning methods using alternative frequencies in commercial rabbits. Meat Sci., 57, 139-143.
Mayer J. 2007. Use of behaviour analysis to recognize pain in small mammals. Lab. Animal., 36(6), 43-47.
Pluta R., Romaniuk J.R. 1990. Recovery of breathing pattern after 15 min of cerebral ischemia in rabbits. Amer. Physiol Soc.,1676-1681.

(9e Congrès mondial de cuniculture – 10-13 juin 2008 – Verone – Italie)

* Nous n’avons pas trouvé un terme équivalent français : c’est un mécanisme de survie, à l’opposé des réactions dites « de lutte et de fuite ».
Manifestations : hypotonie, faiblesse, dépression, etc…