Chèvres

Une reproduction sous contrôle

La maîtrise de la reproduction est l’un des piliers de l’élevage intensif : synchroniser les chaleurs, programmer les mises bas, avancer l’âge de la puberté, réduire les périodes d’improductivité… Mais l’élevage des chèvres présente une particularité : contrairement aux vaches, elles ne se reproduisent qu’à certains moments de l’année. Leurs cycles sexuels sont en effet liés aux saisons. Sans intervention humaine, elles s’accouplent donc en automne et les petits naissent en février-mars, ce qui déclenche la lactation1.

Du lait toute l’année grâce au désaisonnement

Cette saisonnalité naturelle génère des fluctuations annuelles dans la production de lait et  de viande qui ne font pas l’affaire de tous : les laiteries veulent être livrées toute l’année, les éleveurs souhaitent mieux répartir leur charge de travail, et les engraisseurs veulent vendre des chevreaux quand le prix au kilo est au plus haut. C’est là qu’intervient la science du désaisonnement, ou comment modifier artificiellement le cycle des chèvres pour les faire se reproduire à n’importe quel moment de l’année. Pour vendre des chevreaux à Noël par exemple, il faut avancer de 5 mois la période de saillie.

Éponges vaginales et cocktail d’hormones

Premier outil du désaisonnement, les hormones. Administrées selon un protocole strict, elles permettent de déclencher les chaleurs des chèvres n’importe quand dans l’année. En pratique, l’éleveur insère dans le vagin de l’animal une éponge imprégnée d’un progestagène2 puis, 9 jours plus tard, il injecte en intramusculaire de la gonadotrophine chorionique3 et de la prostaglandine4. Ce cocktail déclenche les chaleurs avec une efficacité de 95 %5

Le traitement hormonal permet de déclencher l’ovulation sur commande, et donc de synchroniser les mises bas à 24 h près6, et/ou de faire se reproduire les chèvres hors saison. Selon une enquête menée en 2016 auprès d’une centaine d’élevages français, 76 % des élevages conventionnels auraient recours à ces traitements hormonaux7. Ils sont en revanche interdits en élevage bio.  

Saigner des juments pour mieux exploiter les chèvres

Si l’efficacité de ce protocole hormonal est garantie, côté éthique c’est une histoire qui va au-delà des élevages de chèvres. En effet, l’hormone eCG se trouve exclusivement dans le sang des juments gestantes. Pour l’obtenir, des « fermes à sang8 » cachées en Amérique du Sud et en Islande inséminent des juments pour leur prélever plusieurs litres de sang chaque semaine pendant 3 mois. Le fœtus grandissant, la concentration d’eCG dans le sang des juments décline. Le seul moyen de leur faire produire à nouveau cette hormone est de démarrer une nouvelle gestation. Certaines sont donc avortées et remises à la reproduction. D’autres mettent bas et sont aussitôt remises à la reproduction. Les poulains partent à l’abattoir. Et ainsi de suite, jusqu’à épuisement.

Flashs lumineux et implants de mélatonine

Les cycles sexuels de la chèvre sont en effet régis par la photopériode, c’est-à-dire la durée quotidienne d’éclairement. À l’automne, c’est le passage d’une période de jours longs à une période de jours courts qui déclenche les chaleurs. Pour obtenir de chèvres qu’elles se reproduisent au moment voulu, il suffit donc de « mimer » l’arrivée de l’automne en faisant varier la durée de l’éclairage artificiel au sein des bâtiments. Selon le mois, les chèvres passent ainsi 8 h ou 16 h par jour sous des néons de 200 lux. Un implant sous-cutané de mélatonine, l’hormone qui permet aux animaux de « mesurer » la durée du jour, complète parfois le processus9.

La méthode dite des « flashs lumineux » est encore plus aberrante. Après 14 h passées sous des néons, les chèvres sont plongées dans le noir vers 20 h. Puis, à 22 h, l’éclairage est remis en marche, avant de s’éteindre à nouveau 2 h plus tard10. Malgré tous ces artifices, il faut tout de même faire intervenir un bouc sexuellement actif en fin de processus. Placé au milieu de la chèvrerie, il émet des signaux, notamment olfactifs, qui déclenchent les chaleurs. C’est ce qu’on appelle « l’effet mâle », ou en l’occurrence « l’effet bouc ».

Sources
  1. Lurette A., Freret S. et al., 2016. « La gestion de la reproduction en élevages ovins et caprins, conventionnels et biologiques : état des lieux, intérêt et acceptabilité de nouveaux outils dans six bassins de production en France », INRA Productions animales, vol. 29, no 3, p. 163-184.
  2. Une hormone de synthèse.
  3. Une hormone naturellement présente dans le sang des juments gestantes.